Roger, poil à gratter de Léopold II
Tout en dénonçant les atrocités commises au Congo, Roger Casement a mal défendu la cause irlandaise. Il est le héros d’un livre passionnant.
Publié le 03-01-2022 à 06h00
En 1904, un rapport inflammable arrive sur le bureau du gouvernement britannique qui l’a commandé. Mais qui n’en fera pas grand cas, supprimant notamment le nom des témoins, de peur de trop déplaire à celui dont la responsabilité est mise en cause: Léopold II. Son auteur, Roger Casement, est un diplomate anglais né à Dublin en 1864. Il a, pendant plusieurs mois, enquêté sur le traitement des travailleurs dans les zones d’exploitation de caoutchouc au Congo pour le compte du monarque belge. Et son constat est implacable: la violence et les atroces supplices (dont les fameuses mains coupées) sont monnaie courante. À part l’opposition socialiste, menée par Émile Vandervelde, les autorités et la presse belge font front derrière le roi.
"Son enquête est incroyablement courageuse, constate François Reynaert, qui consacre un remarquable livre à ce personnage méconnu chez nous. Il traverse seul le Congo et est rigoureux et précis dans les faits, nomme ses témoins. C'est du magnifique journalisme d'investigation qui n'est pas accusatoire: il rapporte ce qu'il a vu et entendu. Il n'est pourtant pas anticolonial. Ce qu'il reproche à Léopold, c'est le caractère privé de son entreprise. Mais il pense que la Belgique a une mission civilisatrice."
Ce combat, qui trouvera un écho quelques années plus tard dans la forêt amazonienne regorgeant d’hévéas où les Indiens sont réduits en esclavage, occupe la première partie de ce palpitant récit biographique. La deuxième suit le personnage dans son combat pour une Irlande indépendante. Car s’il travaille pour les Anglais, Roger Casement n’oublie pas où il est né et, par son investissement, devient un héros aux yeux de ses compatriotes. Mais son exaltation le pousse à commettre une faute qui signera sa perte. On le retrouve en effet fin 1914 à Berlin pour tenter de convaincre le Kaiser de s’engager en faveur de son île contre l’occupant britannique. Il va même jusqu’à tenter d’attirer dans son projet des prisonniers irlandais, sans réaliser que ces engagés de l’armée britannique, dont la famille vit grâce à la solde versée par leurs employeurs, ne sont en rien des militants nationalistes. Cette traîtrise lui vaudra d’être arrêté et condamné à mort.
La troisième partie du livre, qui recouvre les deux premières, est consacrée à son homosexualité qui transparaît à travers les cahiers tenus durant toutes ces années (mais que certains, en Irlande, considèrent comme des faux). Les Anglais, qui les ont trouvés dans une malle après son arrestation, s’en serviront comme arme contre leur auteur "amoral", d’autant plus que l’homosexualité est illégale dans leur pays. Néanmoins, jusqu’au bout, Roger Casement conservera des soutiens, notamment ceux de Conan Doyle (le père de Sherlock Holmes) ou de Georges Bernard Shaw. En vain: il est pendu le 3 août 1916.
François Reynaert, «Roger. Héros, traître et sodomite», Fayard, 338 p.