Clara Dupont-Monod dresse le portrait d’une fratrie face à "l’inadapté"
Couronné par le prix Femina, "S’adapter" de Clara Dupont-Monod raconte le chamboulement d’une fratrie dans laquelle naît un enfant handicapé.
Publié le 02-12-2021 à 06h00
"Un jour, dans une famille, est né un enfant inadapté." Mais il lui faut un peu de temps pour s'en rendre compte: l'absence de babillements, ses yeux ne se posant sur rien, sa tête qui tombe comme celle d'un nouveau-né, ses bras et jambes sans tonicité. "Les parents jetèrent un dernier regard à ce qu'était leur existence. Désormais tout ce qu'ils s'apprêtaient à vivre les ferait souffrir, et tout ce qu'ils avaient vécu avant aussi, tant la nostalgie de l'insouciance peut rendre fou."
Cette nouvelle vie d'une famille cévenole protestante est racontée de trois points de vue différents. L'aîné de neuf ans se montre hyper-protecteur, à la limite de l'abnégation, envers cet être dénué de toute malveillance, sans le moindre calcul. À tel point que lorsqu'il est envoyé dans une maison accueillant des enfants comme lui, il ressent un "manque physique". Plus tard, il ne se liera à personne.
La cadette est tout son contraire. Dès la naissance de son frère, elle lui en "veut", sa vulnérabilité lui fait peur. Elle voit tout de suite la "frontière invisible" tracée entre sa famille et les autres. Et plus il grandit, plus, physiquement, il la "dégoûte". Tout en ayant honte d'avoir honte. Elle est dans la colère, un refus qui la maintient debout, se réfugiant chez sa grand-mère, la seule à "alléger" son cœur en lui offrant une enfance, une normalité.
Et puis, il y a le dernier, arrivé après le drame, alors que les aînés ont quitté le foyer. Il vient réparer, ce qui est pour lui à la fois une charge et un honneur.
"Ce qui m'intéresse, explique la romancière, c'est la fratrie que je vois comme un organisme vivant capable de se réinventer tout le temps, au gré des épreuves de la vie. Tout en restant couplé à quelque chose d'inamovible, chacun y ayant sa place à jamais. Et lorsqu'un événement y survient, ses membres le vivent différemment selon cette place occupée."
Sur ce sujet extrêmement délicat, Clara Dupont-Monod signe, avec S'adapter, un livre magnifique, très juste et touchant dans sa façon de parler de ce chamboulement familial que représente l'arrivée d'un enfant handicapé. Pour y parvenir, elle donne la parole aux pierres rousses de la cour qui, "enchâssées dans le mur", surplombent leurs vies à tous. "Dans les Cévennes, les pierres ne sont pas liées par du ciment, mais tiennent grâce au soutien des unes avec les autres. Comme dans une fratrie. C'est aussi une résurgence de ma passion pour le Moyen Âge qui adore animer l'inanimé. Et je voulais éviter tout pathos."
Pour son huitième roman, l'autrice de La passion selon Juette ou du Roi disait que j'étais diable a reçu le prix Femina et le Landerneau attribué par des lecteurs non professionnels. Ce dont elle se réjouit car "ces prix mettent en lumière les personnes handicapées que notre société ne veut pas trop voir".
Clara Dupont-Monod, «S’adapter», Stock, 171 p.