Nathacha Appanah: et toujours trouver l’envie de vivre
Dans "Rien ne t’appartient", Nathacha Appanah raconte la résistance d’une fillette confrontée à un monde auquel elle n’était pas préparée.
Publié le 08-11-2021 à 06h18
"Rien ne t'appartient ici", lui a déclaré à son arrivée la "très vieille femme" qui dirige le centre fermé où la fillette de 13 ans est placée. Vijava déchante, elle qui était persuadée de l'immuabilité de la vie "douce" et "délicieuse" qu'elle menait entre une mère sachant "lire dans les cartes" et un père qui faisait l'école à la maison et qu'elle devait appeler "Monsieur". Convaincue que cette vie "sans entraves" rythmée par ses courses dans la rizière et ses cours de danse, serait toujours la sienne. Mais dans son pays – jamais cité – on ne plaisante pas avec la religion, et parce que son père, opposant politique et athée, ne s'est pas résolu à "fermer sa grande bouche", il disparaît. Pour la cacher, le jardinier l'emmène chez sa cousine, dernière étape avant le "refuge" jadis créé par une ONG américaine pour des orphelins. Mais cela, c'était avant. Avant que Vijava, ce qui signifie Victoire, rencontre Emmanuel et devienne Tara, son prénom au début du roman. Et c'est la mort de cet homme devenu son mari qui fait rejaillir en elle ce passé enfoui mais pas révolu.
De nationalité mauricienne, écrivant en français, Nathacha Appanah est d'ascendance indienne. Ses arrière-grands-parents ont en effet quitté l'Inde pour travailler dans une plantation à l'île Maurice, parqués dans ses camps où est née sa grand-mère. Cet épisode historique est le sujet de son premier roman, Les rochers de Poudre d'Or. "Mes racines indiennes sont réelles, explique-t-elle. J'ai été élevée dans la religion et la culture hindoues, avec leurs rites et traditions. Comment doit se comporter une fille, un garçon. Je lisais aussi les grandes épopées indiennes. Cette "indienneté" est une chose très intime chez moi."
Son île natale ou ses ressortissants sont d'ailleurs souvent présents dans ses livres. "J'ai commencé par écrire sur ce que je connaissais, sur des personnages dont je pouvais bien dessiner les contours, argumente-t-elle. Les écrivains qui n'écrivent que sur leur pays d'enfance m'ont toujours intéressée. Que font-ils de leur présent, du monde dans lequel ils vivent? J'ai toujours été très encline à parler du présent, même quand je parle du passé." De ce terreau, la romancière s'est émancipée en 2016 avec Tropique de la violence, son plus célèbre roman, qui se passe à Mayotte.
Et donc aujourd'hui avec Rien ne t'appartient, son dixième livre écrit dans une langue subtilement évocatrice, où les choses sont davantage sous-entendues que dites, et qui a figuré dans la première liste du prix Femina. "Le lieu n'est pas défini car je veux instaurer le trouble. Il y a tant de pays où l'on veut imposer une langue, une religion, où la parole libre n'existe pas. Où il y a cette ligne qu'une fille ne peut pas dépasser. C'est donc aussi l'histoire du corps féminin que je raconte. Mon héroïne a une éducation très libre et se trouve confrontée à des interdits auxquels elle n'était pas préparée."
Nathacha Appanah, «Rien ne t’appartient», Gallimard, 159 p.