Des raisons de ne plus aimer les hommes
Prisonnière d’une relation toxique, l’héroïne du roman d’Isabelle Le Nouvel construit comme un thriller voit resurgir des terreurs enfantines.
Publié le 05-11-2021 à 06h00
On a du mal à accoler le terme "thriller" au premier roman de l'actrice et auteure de théâtre Isabelle Le Nouvel, même si son titre, La femme qui n'aimait plus les hommes, est évidemment un clin d'œil au premier volet de Millénium, Les hommes qui n'aimaient pas les femmes. Car on ne voudrait pas qu'en mettant l'accent sur son suspense, pourtant réel, on étouffe sa thématique qui lui confère sa puissance et son importance.
Autrice d’albums pour enfants, Jeanne annonce à son mari qu’elle est enceinte. Il le prend très mal, se montre violent, injurieux et menaçant: il est un éditeur important et pourrait casser sa carrière. La jeune femme, qui s’est progressivement enfermée dans cette relation toxique, voit rejaillir en elle un traumatisme enfantin: à partir de 6 ans, elle a été régulièrement violée par le compagnon de sa mère lorsque, pour son boulot, celle-ci s’absentait deux jours. Soumise aux menaces et au chantage de son prédateur, éducateur en foyer, elle n’osait pas lui en parler, pas plus qu’à son père, un homme bon et aimant qui ne pensait qu’à la choyer. Seule son institutrice s’inquiétait de son changement de comportement à l’école, de son refus de jouer avec les autres.
"J'ai essayé, à mon modeste niveau, de donner une voix à tous ceux que l'on essaie de faire taire, explique Isabelle Le Nouvel. Il existe une forme d'impunité pour les agresseurs sexuels. Je voulais être au plus de ce que c'est qu'être abîmée profondément dans l'enfance, et montrer que c'est sans fin. Même s'il y a ce qu'on appelle des résiliences, s'il y a moyen de prendre cette boue et d'en faire quelque chose. Et quand cela vous arrive, vous êtes tellement déstructurée, amputée d'une partie de vous-même que vous pouvez tout à fait devenir la proie d'un pervers narcissique. Le roman me permet de faire une immersion à l'intérieur d'un trauma."
La tension générée par l’histoire est notamment due à sa construction alternée sur les deux époques distantes de 30 ans, entre lesquelles vient soudainement s’intercaler une autre scène, légèrement postérieure, où il est question d’une vengeance fomentée par une femme non nommée. Mais sa vraie force tient à son écriture, dense, précise, qui met à nu les pensées et interrogations de Jeanne, enfant et adulte. Quasiment tout se passe dans sa tête.
La douleur de la fillette est encore exacerbée par le manque d'affection dont lui témoigne sa mère, à laquelle elle vous un amour immodéré, et par son déni. "Le fait que sa mère ne voit rien, ou décide de ne rien voir, est, pour elle, aussi dévastateur que l'agression elle-même. On la prive de l'innocence, du rêve, et heureusement il y a son père qui lui apporte la sécurité qui lui permettra peut-être d'être une survivante. Ce n'est pas un livre sur une victime d'inceste, mais sur le fait de pouvoir survivre après tout cela. C'est d'abord un formidable élan de vie."
Isabelle Le Nouvel, «La femme qui n’aimait plus les hommes», Michel Lafon, 202 p.