SORTIES LIVRES | Les poupées russes mémorielles de Modiano
Le héros de «Chevreuse» se remémore différentes périodes de son passé aux contours assez flous, déambulant dans Paris et dans ses souvenirs.
- Publié le 05-10-2021 à 10h24
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«C'est ainsi que l'on retrouve des détails en apparence insignifiants qui étaient restés en hibernation dans la nuit des temps.» Le détail qui, chez Jean Bosmans, fait remonter en lui un flot de souvenirs est le mot «Chevreuse». Cinquante ans auparavant, vers le milieu des années 60, alors qu'il arpentait seul les rues et cafés de Paris, il avait fait la connaissance d'une jeune fille prénommée Camille, mais qu'on appelait «Tête de mort». Qui? Les gens qu'elle fréquentait alors, dont une certaine Martine Hayward. À eux trois, ils s'étaient rendus dans une maison de la rue du Docteur-Kurzenne, dans la localité de Chevreuse.

Par un étrange hasard dont le destin a le secret, et dont Modiano aime exploiter les multiples possibilités, Bosmans connaissait cet endroit où il avait un temps vécu enfant. De même lui avait été jadis familier le quartier d'Auteuil, dans l'ouest parisien, où ses nouvelles connaissances fréquentaient, la nuit, un appartement en compagnie de personnes «peu recommandables». Dont un dénommé Guy Vincent qu'il avait connu en cette époque lointaine. «Vous croyez d'abord tomber sur des coïncidences, remarque-t-il, mais, au bout de cinquante ans, vous avez une vue panoramique de votre vie.»
Ce sont ces fils de l'existence que le prix Nobel de Littérature tisse une fois de plus dans Chevreuse. Son personnage principal, déjà présent dans L'Horizon (2010), ressemble à tous ceux qui jalonnent son œuvre, y compris lorsqu'il s'agit d'ouvrages plus ouvertement autobiographiques, comme Un pedigree ou Dora Bruder. Ainsi qu'il le constate lui-même, il avance en «somnambule» dans sa propre vie. «Lui qui depuis des années avait l'habitude de vivre sur une frontière étroite entre la réalité et le rêve, et les laisser s'éclairer l'un l'autre, et quelques fois se mêler». C'est cette confusion qui fait le charme de l'œuvre extrêmement cohérente de Patrick Modiano dont Chevreuse est un nouveau et précieux maillon.
Patrick Modiano, «Chevreuse», Gallimard, 160 p.

Après le sublime Rosa candida et le primé Miss Islande (Prix Médicis étranger), le dernier roman de l'auteure islandaise Audur Ava Olafsdottir est un peu inclassable.
Dyja est sage-femme, comme d’autres de sa famille avant elle.
Et dans son pays, on dit qu’elle est «ljosmodir», littéralement «mère de la lumière».
C’est un peu lent, il ne se passe pas grand-chose, mais c’est poétique, drôle aussi par moments.
Un livre tout doux à lire au coin du feu quand il pleut.
Audur Ava Olafsdottir, «La vérité sur la lumière», Zulma, 224 p.
«Tant que le café est encore chaud»: À petites gorgées (***)

Le Funiculi Funicula est un petit café bien caché dans Tokyo. Au sous-sol, le jour et la nuit se confondent.
Et ce n’est pas un café comme les autres. On peut y voyager dans le passé. Mais à certaines conditions et non des moindres: le voyage dure tant que le café est encore chaud et il n’est pas possible de changer le présent.
On suit quatre femmes qui vont vivre chacune leur expérience.
Un humour très japonais, un message universel: peu importe le passé, seul le présent compte. Un livre phénomène au Japon.
Toshikazu Kawaguchi, «Tant que le café est encore chaud», Albin Michel, 240 p.
«Douce, douce vengeance»: La vengeance est douce S.A. (***)

Un patron injuste, un voisin qui vous pourrit la vie? Laissez faire les pros: Hugo Hamelin a monté sa petite société de vengeance pour faire le sale boulot à votre place.
Et c’est super-drôle.
Ses méthodes sont plutôt originales (vous n’auriez pas pensé à louer un lama pour vous débarrasser du molosse du voisin…).
Et les personnages plus typés les uns que les autres, entre un homme-médecine kényan, un marchand d’art véreux, une peintre délurée…
Truculent.
Jonas Jonasson, «Douce, douce vengeance», Presses de la Cité, 455 p.
«Ainsi Berlin»: Un futur radieux (**)

L'auteur du premier roman coup de poing Ce qu'il faut de la nuit plonge le lecteur dans l'ex-RDA.
Une jeune communiste imagine un programme qui réunirait les meilleurs scientifiques de pays et dont les enfants formeront l’élite future.
Racontée par un jeune homme qui entretient une relation avec une femme de l’Ouest, cette histoire pleine de rebondissements est hélas desservie par une écriture faible.
(
Laurent Petitmangin, «Ainsi Berlin», La Manufacture de Livres, 268 p.
«Marchands de mort subite»: L’or ougandais (***)

Arrivé en Ouganda à la recherche de sa fille qui a disparu au Congo voisin lors d’un reportage, un homme met les pieds sur un terrain hautement inflammable où il est notamment question de minerais d’or.
Ce premier roman étourdissant d’un auteur qui connaît très bien la région parle de corruption, d’enlèvements, de révoltes d’étudiants ou, à travers une journaliste locale, de l’impossibilité d’informer librement.
Max Izambard, «Marchands de mort subite», Rouergue, 343 p.