Sous «Son empire», une femme disparaît
Dans le troublant roman de Claire Castillon, une fillette observe le progressif effacement de sa mère par son nouveau compagnon manipulateur.
- Publié le 04-10-2021 à 06h32
Plutôt que Son empire, le roman aurait pu s'appeler Son emprise, car c'est bien de cela qu'il s'agit. «Ce titre m'est tombé sur la tête comme un coup de massue, commente Claire Castillon. Il y a cet homme qui joue avec la petite fille au roi et à la princesse dans un château, fabriquant un empire de pacotille sur un territoire assez réduit, celui de l'appartement.» C'est pourquoi la narratrice de 7 ans l'aime beaucoup. Elle a envie qu'il revienne tous les jours pour jouer avec elle, elle se réjouit des cadeaux qu'il lui apporte lorsqu'il vient voir sa mère envers qui, au début, il se montre attentionné, galant, protecteur. Et qu'il appelle «Ma belle».
Ce bref et dense roman raconte les quelques mois qu’il va passer dans la vie d’une mère et de sa fille. D’abord de manière ponctuelle, puis permanente. Proposant de faire un brin de ménage, préparant le repas, les invitant au restaurant. Mais aussi: éloignant la jeune femme de ses amies et manifestant du mépris envers sa famille, tombant dans des crises de colère démesurées, se montrant parfois capricieux, autoritaire, souvent violemment jaloux. Et transformant tout en drame, la moindre sortie ou activité.
C'est cette double face toujours observée par l'enfant qui cherche à protéger sa mère, qui rend ce livre très troublant. «J'ai choisi ce point de vue car il est difficile de faire parler la femme sous emprise, explique l'autrice. La fillette a un regard aimant sur une personne qui sa casse la figure, qui se vide de sa substance, s'efface.» Et qui ne sait pas toujours comment réagir, partagée entre la raison et, quand même, l'amour qu'elle porte à cet homme, sans que cela semble réciproque. Elle se ment à elle-même et ment aux autres. «Il l'a allumée, avant de l'éteindre, et elle accepte de fermer les yeux pour rester dans son rêve. Sa fille sent que quelque chose cloche, elle voit tout ce qui pèche, elle possède des antennes qui discernent les failles, mais elle fait aussi confiance à sa mère. Quand on est petit, on sait, on ressent, on traduit tout. Mais j'ai l'impression que toute cette part intuitive, on la perd ensuite en essayant de faire entrer nos pensées dans des cases pour donner des définitions d'adultes aux choses.»
La jeune narratrice doit-elle toujours croire cet homme? Elle aimerait. Par exemple, quand il lui parle d'Esther, une fille de 14 ans qu'il aurait eue de son premier mariage et dont il lui montre des photos quand elle en avait trois. «C'est pour elle une sorte de Graal, décrypte Claire Castillon. Car cela signifie qu'il est un bon papa et que c'est un type bien. Et elle imagine qu'ils pourraient former une vraie famille. Mais, assez vite, le doute plane.» C'est de ce doute progressif que la romancière rend subtilement compte à hauteur d'enfant.
Claire Castillon, «Son empire», Gallimard, 159 p.