La force d’une BD pour comprendre la cellule terroriste
Une BD documentaire retrace en détail la préparation des attentats de Paris. Cette enquête fidèle est soutenue par un graphisme de précision.
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- Publié le 02-10-2021 à 06h00
Le procès des attentats de Paris, c’est un maillage – à première vue – complexe de cellules terroristes, d’acteurs aux origines multiples fomentant des plans au sein du califat en Syrie ou bien planqués dans des appartements à Verviers, à Bruxelles. Lorsqu’on décortique ce que l’enquête a mis à jour, tout semble parfois plus simple. Les acteurs se connaissent, sont issus de la même fratrie, du même quartier, se sont croisés en Syrie. Les rapports humains et les zones géographiques diverses se réduisent…
C'est ce qu'illustre très fidèlement une BD intitulée La Cellule et retraçant la chronologie des faits ayant abouti aux attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Ce document de 248 pages a été scénarisé par Soren Seelow, journaliste au journal Le Monde et spécialiste du terrorisme. Ce procès, il le suit depuis son début, le 8 septembre. C'est à deux pas de la place de la République, le quartier où les attentats ont été commis, que nous rencontrons l'auteur. «La BD, c'était le meilleur moyen pour restituer cette enquête dans toute sa complexité. Le support des images la rend aussi plus accessible.» La qualité des dessins de Nicolas Oterto complétée par la reproduction de documents officiels, de photos, permet à la BD d'être considérée comme un réel documentaire. « Si je l'avais fait sur un support classique, le grand public ne s'y serait pas intéressé. En discutant avec des proches, je m'étais rendu compte qu'ils ne connaissaient pas l'histoire.» Une histoire qui fait partie de l'Histoire de la Ve République, considère le journaliste du Monde.
La BD rend aussi le maillage des personnages plus accessible. «L'idée est de représenter les visages à l'identique pour positionner les personnages dans la cellule.» D'autant plus qu'ils sont généralement affublés de kounia, des pseudonymes combinant généralement le nom et l'origine des terroristes. Abdelhamid Abaaoud était ainsi mieux connu dans le réseau djihadiste comme Abou Omar al-Belgiki. Abaaoud, justement, est un des fils rouges de ce récit. «C'est le personnage central. Son premier projet, c'était Verviers (NDLR: en janvier 2015). À partir de là, il est le point commun avec le Thalys (NDLR: attentat déjoué le 21 août 2015). Même s'il n'est pas le commanditaire, c'est lui l'animateur de la menace terroriste en Europe.»
La BD suit aussi de près Bilal Chatra, un jeune gars moins médiatisé, qui a ouvert le chemin aux terroristes venus de Syrie par la voie des réfugiés. « C'est après son arrestation qu'on comprend comment Abaaoud est rentré en Europe. Il permet de recoller les pièces du puzzle. C'est grâce à lui que les enquêteurs ont compris…»
Ne pas fictionnaliser
Le document de Soren Seelow devait aussi s'attacher à la fidélité des éléments rapportés. Pas question de fictionnaliser l'enquête. Le journaliste a eu accès à un volume d'éléments d'enquête dont il partage une partie. «J'ai toujours pensé que, quand on donne des détails, on déconstruit les théories complotistes. Il y a aussi une envie que le lecteur se fasse une opinion à partir d'éléments bruts.»
Le journaliste s'interdit de juger car cette tâche revient à la cour d'assises spéciale de Paris. «Il y a des personnages qu'on n'a pas représentés parce que des faits vont être contestés. Il fallait respecter la présomption d'innocence même si ce n'est pas simple.»
Autre difficulté, c'était de se placer du point de vue de la cellule terroriste. On ne parle pas des victimes, la sanglante soirée du 13 novembre 2015 est représentée par une double page noire. «Dans la représentation des djihadistes, on les montre assez figés. Il fallait restituer leur humanité et aussi ne pas créer d'empathie.»
Sa crainte, en omettant volontairement les victimes, c'est de ne pas être compris. «C'est une analyse rationnelle et on ne savait pas comment les gens allaient réagir.» Pour mieux comprendre la complexité de ce procès, cette BD documentaire est une réussite absolue de vulgarisation.
«La cellule», 248 pages, par Soren Seelow, Kévin Jackson et Nicolas Otero. Éditions Les Arènes BD