Cécile Coulon: mystère en cette demeure
Une jeune mariée tente de trouver ses marques dans une maison hostile. «Seule en sa demeure» est un roman envoûtant de Cécile Coulon.
- Publié le 02-10-2021 à 06h00
En lisant Seule en sa demeure, on pense à Rebecca, le film d'Hitchcock adapté du livre de Daphné Du Maurier, même si son autrice, Cécile Coulon, affirme ne pas y avoir pensé. À la fin du XIXe siècle, une jeune fille est mariée par ses parents à un homme qui vit dans une grande maison au cœur du Jura, tenue par Henria, la servante qui l'a élevé. Et dont la première épouse est morte d'une pneumonie six mois après leur mariage. Vit aussi dans la propriété le fils muet de la vieille domestique. Pour tromper son ennui, Aimée prend des cours de flûte avec une professeure de Genève.
Ce nouveau livre de l’autrice trentenaire est un roman d’ambiance servi par une écriture qui décrit avec une grande justesse la vie intérieure et le désarroi de son héroïne, complètement ignorante des choses de l’amour, mais étonnée que son mari ne partage pas plus souvent sa couche. Et qui est vraiment Henria? Amie? Ennemie? La peinture de cette non-vie dans ce domaine soumis aux frimas jurassiens, qui évoque certains romans anglais, va finir par se craqueler pour ouvrir sur un mystère que la nouvelle épouse tentera de résoudre.
«J'ai beaucoup de mal avec l'époque contemporaine, sourit Cécile Coulon. Je serais incapable d'écrire une histoire avec des portables, ordinateurs, réseaux sociaux. Et comme j'ai commencé à écrire ce texte pendant le premier confinement, il fallait que je sorte absolument de cette période de sidération, d'angoisse. Délocaliser l'histoire dans le temps et dans l'espace était ainsi une manière de sortir de chez moi. L'écriture de ce roman a été pour moi salvatrice. Il est intéressant de voir que si, à l'époque, l'amour tient une place immense dans la littérature ou les correspondances, la question de l'argent prend le pas sur lui dans les faits. Une jeune fille de 18 ans n'est pas mariée au prince charmant dont elle rêve mais à l'homme qu'on lui propose. Et je me suis rendu compte que plus d'un siècle plus tard, ses questionnements sur son corps, ses désirs et ses plaisirs sont toujours les mêmes.»
En plus d'écrire, Céline Coulon aime courir, comme elle le raconte dans un bref livre qui paraît en même temps, Petit éloge du running. Distinguant trois époques – la course comme valeur morale, physique et sociale, comme «service» et le sport moderne – cette «gourmande» dissèque avec beaucoup d'humour et de recul une pratique partagée par de plus en plus de personnes, en majorité pour des questions de santé et non par plaisir. Tout y passe, soutenu par des citations et références ciné: la cadence, la tenue, l'alimentation, la fatigue, la douleur, etc. Elle termine sur des questions que tout praticien se pose (peut-être): «Se sent-on plus libre, plus complet, plus soi-même une fois passée la ligne d'arrivée? Le fait d'avoir terminé sa course modifie-t-il le cours d'une existence, d'une semaine, d'une journée, ou d'une heure?»
Cécile Coulon, «Seule en sa demeure», L’Iconoclaste, 337 p.; «Petit éloge du running», Les Pérégrines, 125 p.