La rentrée de ceux qu’on n’attendait pas
Chaque année, la rentrée littéraire arrive avec ses romans très attendus. Mais cette fois, on a choisi de vous parler de ceux qu’on n’attend pas: les primo romanciers. Pros et débutant(e)s racontent leur expérience.
Publié le 20-08-2021 à 06h36
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Le magazine littéraire professionnel Livre Hebdo a fait son décompte annuel, et cette rentrée littéraire est riche de 521 romans (511 en 2020). Parmi lesquels les habituels poids lourds, comme le nouvel Amélie Nothomb, Premier sang, sorti ce jeudi.
Mais cette année, on a voulu s'intéresser aux débutants, à ceux qui publient leur tout premier roman. Ils sont 75. Parmi eux, la Parisienne Marie Mangez qui, au milieu de sont travail sa thèse en anthropologie vient de publier Le parfum des cendres. L'histoire insolite d'un mystérieux embaumeur et d'une thésarde qui s'intéresse à son étrange profession.
«Est-ce qu’il va surnager dans le tas?»
«J'ai envoyé mon manuscrit par la poste, sans trop y croire». Cinq exemplaires envoyés, et deux mois plus tard, une réponse positive de Finitudes.
«C'est très bizarre de voir son nom sur une couverture. C'est mon premier bébé, tout est nouveau, je ne sais pas à quoi m'attendre. Surtout que c'est la rentrée littéraire, il y a énormément de productions. Est-ce qu'il va surnager dans le tas? Mais je n'en fais pas une question de vie ou de mort. Déjà, voir mon livre publié, c'est au-delà de ce que je pouvais espérer, ce n'est que du bonus, je n'ai rien à perdre», dit-elle.
Mais les primo romanciers ne sont pas tous des débutants. La Belge Virginie Jortay a une longue carrière dans le milieu des arts de la scène et du cirque. Ces enfants-là est un roman, mais elle y raconte une histoire toute personnelle. Celle de la libération des mœurs des années 60 et 70 et des enfants de ces années-là qu'on a un peu oubliés dans ce tourbillon. «J'avais besoin d'écrire et j'avais besoin d'écrire cette histoire-là. C'est un sentiment jouissif d'avoir son premier roman dans les mains». Ce qu'elle en attend? «Qu'il soit lu, j'attends qu'il touche, qu'il donne de la force, du soulagement. Le pire, ce serait qu'il laisse indifférent. Mais déjà le voir publié c'est très étrange, alors tout ce qui va venir ensuite, c'est cadeau.»
Une publication, c’est presqu’un miracle. La règle, c’est plutôt d’être refusé
Un sur 400
Car faire publier son texte, ce n'est pas gagné. «On reçoit 400 manuscrits de nouveaux auteurs par an. On en publie un ou deux. Une publication, c'est presqu'un miracle. La règle, c'est plutôt d'être refusé», assure Benoît Peeters, le directeur des Impressions Nouvelles. C'est lui qui a choisi de faire paraître Ces enfants-là, un des deux seuls romans de la rentrée pour la maison d'édition basée à Bruxelles et active sur tout le territoire francophone.
Pour passer le cap de la sélection, il y a des règles objectives de grammaire, d’orthographe, de style, de fluidité, de qualité d’écriture… Mais aussi une grande part de subjectivité et de chance. Audrey Petit est Directrice éditoriale chez Préludes, la collection grand format du Livre de Poche qui publie une dizaine de livres par an.
Pour cette rentrée, c'est Oublier les fleurs sauvages de Céline Benz, une histoire familiale entre la France et le Liban. «Céline était assise à côté de moi dans le train. Je lisais un manuscrit, je sentais qu'elle avait envie de poser des questions. Elle m'a dit qu'elle aussi avait écrit quelque chose. Je lui ai donné ma carte. Elle voulait un avis, des conseils. Je lui ai dit «n'envoyez un manuscrit à un éditeur que quand vous êtes très contente du résultat et certaine que vous ne pouvez plus rien faire dessus». J'ai reçu son manuscrit fin février, début mars, c'était juste avant le confinement. Je ne m'attendais à rien et c'était formidable, très abouti. Il y avait une véritable identité, du souffle, de la maîtrise, ça correspondait à la ligne de Préludes: des histoires dans la grande Histoire, un itinéraire singulier, une histoire familiale, de l'évasion…»
Argument de vente
Pour un éditeur, publier un premier roman, c'est un pari. C'est beaucoup de boulot aussi pour accompagner l'auteur, le faire connaître. Mais ça peut aussi être un argument de vente: on se dit que si un livre est arrivé jusque là, c'est qu'il est forcément bon. «Oui. C'est plus facile de lancer un nouveau roman, de faire découvrir une nouvelle voix. Ca suscite la curiosité des lecteurs, des journalistes, des libraires. C'est plus difficile quand c'est le 3e ou 4e roman, il faut trouver un angle pour attiser la curiosité. Éditeur, c'est un travail sur la durée», résume Audrey Petit.
Notre sélection de premiers romans

Une chute mortelle
Sur le court film noir et blanc, on voit «l’homme-oiseau» s’élancer du premier étage de la tour Eiffel et s’écraser au sol. Le 4 février 1912, un tailleur parisien d’origine autrichienne, Franz Reichelt, a testé son parachute dans l’espoir de remporter les 10 000 francs promis. Peu auparavant, son ami aviateur était lui aussi mort tragiquement. Dans une langue magnifique d’une émouvante délicatesse, l’auteur raconte la courte existence de cet inventeur audacieux, liant ce fait divers qui fait la Une de la presse à sa propre existence marquée par deux dramatiques défenestrations.
Étienne Kern, «Les envolés», Gallimard, 146 p.

Savoureux ****
Mon mari ce héros
On ne connaît pas son prénom, il est «mon mari» pour la narratrice qui, après 15 ans de mariage, en est toujours follement amoureuse. Au point de rêver d’un éternel huis clos en sa compagnie et de lui faire «payer» ses erreurs – la comparer à une clémentine, l’obliger à dormir dans le noir – consignées dans un carnet. Au long d’une semaine, cette prof et traductrice d’anglais en doute perpétuel se dévoile dans un exercice d’auto-analyse aussi masochiste qu’hilarant, jusque dans les savoureuses parenthèses. La soirée chez un couple d’amis est notamment un moment d’anthologie.
Maud Ventura, «Mon mari», L’Iconoclaste, 356 p.

De Chaïm à François
Revenu à moitié fou des tranchées de 14-18, Chaïm, qui avait fui les pogroms lituaniens, est mort de faim en 1941 à l'asile de Cadillac, près de Bordeaux. À l'occasion de la transformation du cimetière en mémorial, son petit-fils recrée son existence, tout en racontant celle de son père, prisonnier puis fuyard pendant l'autre guerre. Celui qui avoue se sentir «plus proche des premiers primates que des patriarches de la Bible» interroge avec pertinence la notion d'identité. Se demandant: «À quelles expériences familiales doit-on ce que l'on est devenu?»
François Noudelmann, «Les enfants de Cadillac», Gallimard, 220 p.

Initiatique ***
Louvette n’en fait qu’à sa tête
Est-ce parce qu’à sa naissance un séisme secoue le Salvador que Louette ne tient pas en place, se plongeant à corps perdu dans chaque nouvelle expérience? À l’école jésuite où elle apprend le français, elle veut passer sa vie. Tout comme elle prétend successivement devenir une sainte, marcher sur la lune ou être peintre. Ce roman écrit en français par une Salvadorienne suit avec humour une enfance prise à la fois dans les remous familiaux et d’un pays en proie à une guerre civile.
Gabriela Trujillo, «L’invention de Louvette», Verticales, 252 p.

Tenter de renaître au monde
Vingt ans après son entrée au couvent, à la grande tristesse de sa famille, Sœur Anne doute de son engagement, hantée par les images de son enfance avec son jeune frère. Revenue d’Espagne où elle a été envoyée suite à une «faute», elle va profondément s’attacher à la postulante dont elle a la charge. Jusqu’à semer le trouble dans la communauté. Le style épuré, tout en retenue de ce très beau texte empreint de poésie est en parfaite harmonie avec son sujet et la puissance des sentiments qui l’habitent.
Claire Conruyt, «Mourir au monde», Plon, 156 p.

Polyphonique **
Dans les rues de Villebasse
Depuis l’arrivée du Chien à Vellebasse, «personne ne peut plus quitter la ville de manière définitive, à part peut-être les pieds devant». Dans un style oscillant entre l’onirique et le familier, avec un regard d’une profonde humanité, ce roman d’une autrice d’albums pour la jeunesse donne vie à des habitants de son quartier défavorisé, qui tentent comme ils peuvent de trouver leur place dans un monde qui les rejette.
Anna de Sandre, «Villebasse», La Manufacture des Livres, 220 p.

Mémoire***
La poésie pour combler l’oubli
Theo conduit son taxi dans les rues de New York. Et elle va rechercher la nuit, à la fermeture des bars l’homme qu’elle aime et dont elle attend plus qu’une relation épisodique sous influence.
Elle partage un petit appartement avec sa Giagia, grand-mère en grec dont la mémoire s’effiloche. Alors la jeune femme décide de faire voyager son esprit prisonnier. Elle lui invente une vie héroïque de femme médecin nobélisée, grande amoureuse, amie de Maria Callas…
Entre vie rêvée et véritable histoire familiale, entre la Grèce et Coney Island où Giagia a débarqué en 1954.
Un premier roman drôle, tendre et poétique.
Émilie Papatheodorou, «L’aube américaine», Albin Michel, 188p.

Tourbillonnant **
Ambiances d’une vie gitane
Il y a la Grande Dora, Amos, Pepino, le père Génépy, Theresa la Harpie, Madame Sido, Miguel et les autres du clan. La communauté gitane est réunie comme chaque année à Lourdes pour le traditionnel pèlerinage du 15 août. Mais cette fois, il y a l’Étranger, ce visiteur mystérieux qui arrive comme un mauvais présage lors de cet «été maudit». On sent la chaleur, on sent la tension qui monte entre les différents membres du clan.
Pas vraiment une histoire mais une collection de tranches de vie, d’instantanés, de portraits, d’ambiances, de situations cocasses. Une somme de digressions sous une jolie plume.
Céline Laurens, «Là où la caravane passe», Albin Michel, 255p.