Voltaire réveille les lumières
Le duo Beuriot-Richelle fait une pause dans ses «Amours fragiles» pour appeler le philosophe à la rescousse de notre monde.
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- Publié le 21-09-2019 à 06h05
Une petite précision, d'abord, pour rassurer les amoureux de leur travail au long cours (c'est un euphémisme): non, Jean-Michel Beuriot et Philippe Richelle n'ont pas abandonné Amours fragiles, leur série majeure. Deux tomes sont encore à sortir, mais les deux comparses avaient envie, le temps d'un album, de s'offrir une pause au siècle des Lumières.
Et qui dit siècle des Lumières dit forcément Voltaire: «Cela fait quinze ans qu'on avait cette idée en tête, assure Philippe Richelle, le scénariste. D'abord parce que c'est un personnage fascinant, qui a tout connu: il a été embastillé, a vécu l'exil, le succès en tant qu'auteur dramatique, puis l'échec, il a fréquenté des gens très puissants, avant de les dézinguer, quelques jours plus tard, dans des pamphlets distribués sous le manteau. Il était âpre aux gains, et a su faire fructifier sa fortune, parce qu'il pensait que s'il était riche, il achèterait sa liberté de penser, ce qui était vrai, d'ailleurs… »
Bref, une vie romanesque, mais surtout, du moins dans sa seconde partie, celle qui suivit son exil anglais, une vie au service des idées des Lumières, qu'il impulsa avec ses Lettres anglaises: « C'est là, continue Philippe Richelle, qu'il a basculé d'auteur dramatique à philosophe.» Sa verve lui vaudra, jusqu'à la fin de sa vie, une grande admiration de la part de ses pairs. Et jusqu'à la fin de sa vie, il luttera pour défendre ces fameuses idées.
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si c'est ce Voltaire en fin de course mais toujours vaillant, confiant ses souvenirs à un biographe fictif, que le binôme Beuriot-Richelle met en scène dans Voltaire, le culte de l'ironie: « C'est sans doute, appuie le scénariste, la partie la plus intéressante de sa vie. C'est à ce moment, notamment, qu'il entreprend de combattre de notables injustices judiciaires, comme celle du Chevalier de la Barre, dont il est beaucoup question ici. Ce jeune homme libertin a été soumis à la question et été exécuté sur la place publique après qu'on lui a coupé la langue parce qu'il aurait, commérait-on, abîmé une statue en bois du Christ, déféqué sur une tombe et oublié de se découvrir au passage d'une procession…»
Retour en arrière
Forcément, ce Voltaire-là, pas plus que nos deux auteurs, ne goûtent dès lors aux dérives de nos sociétés modernes: «Voltaire voulait faire disparaître l'obscurantisme religieux, les superstitions imbéciles, les excès royaux et totalitaires, rappelle Richelle. Or, depuis les années 80, on a l'impression d'un retour en arrière.» «Avec cet album, grimace Jean-Michel Beuriot en guise de conclusion, on a eu envie de dire: mais où sont les Lumières? Il est peut-être bon, si l'on ne trouve pas la réponse à cette question, de se repencher sur notre passé, et pourquoi pas sur ce qu'a écrit Voltaire… »