Sorj Chalandon nargue le cancer
Un quatuor de femmes cancéreuses entreprend de braquer une bijouterie. «Une joie féroce» est une fable réussie sur un sujet grave.
- Publié le 19-09-2019 à 06h00
En janvier 2018, la femme de Sorj Chalandon apprend qu'elle a un cancer du sein. Quelques jours plus tard, l'écrivain découvre qu'il a un cancer de la prostate. Pendant huit mois, il va suivre son épouse dans ses différents examens. De ce matériau dramatique est née Une joie féroce, une pure comédie sous forme de fable où, pour la première fois, il fait parler une femme, Jeanne, évacuant les hommes. Notamment Matt, son mari qu'il la quitte aux débuts de son traitement.
«Les hommes s'en vont parce que, disent-ils, ils ne veulent pas voir souffrir leur femme, commente-t-il. Lors de la première chimio de la mienne, il y avait cinq femmes dont deux pleuraient. Non parce que c'était douloureux, mais parce qu'elles avaient été quittées. Une femme a six fois plus de "chances" qu'un homme de se faire abandonner parce qu'elle est malade. Je ne me serai pas permis de faire partir Matt si cela ne correspondait pas à la réalité.»
C’est dans la salle d’attente de l’hôpital que Jeanne rencontre Brigitte, Melody et Assia. Elles ont toutes un rapport douloureux à la maternité, soit leur fils est mort, soit elles en ont perdu la garde. Et c’est pour pouvoir récupérer celui de Melody retenu en Russie par son compagnon qui réclame 100 000 euros, que les nouvelles amies vont faire un casse dans une bijouterie parisienne.
«Pour accepter d'y aller, il faut qu'elles soient toutes "désenfantées", pense le romancier. Elles ne peuvent pas prendre ce risque juste pour faire plaisir à une copine. J'ai fait de longs repérages pour m'assurer que c'est réalisable. Je suis par exemple entré dans une bijouterie avec un sac pour savoir si on l'ouvrait – ce qui n'a pas été le cas.»
La «joie féroce» du titre est celle ressentie par Sorj Chalandon lorsqu'il a appris qu'il était malade. «Je me suis senti chien des rues. Vivre devient alors un combat. Il faut que je vive animé par cette joie féroce. Aller demain, et encore demain, parce que c'est obligatoire.» Aujourd'hui, il est en rémission, tout comme sa femme.
Sorj Chalandon, «Une joie féroce», Grasset, 316 p.