Anne Goscinny, la voie du père
À l’âge qu’avait son père quand il est mort, Anne Goscinny raconte l’histoire familiale dans un roman graphique dessiné par son amie Catel. Plus qu’un symbole.
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Publié le 14-09-2019 à 06h00
Elle devait nous en parler elle-même. Mais le destin a bien failli la rattraper, et de sinistre façon: à 51 ans, soit l'âge auquel est mort son père René, alors qu'elle n'avait que 9 ans, mais aussi celui auquel l'a quittée sa mère, Anne Goscinny est passée, voici quelques semaines, à «une heure de la mort», raconte son amie dessinatrice Catel.
Victime d'une septicémie, elle recouvre peu à peu ses forces et assiste donc, de loin, à la sortie du premier volume du Roman des Goscinny, un roman graphique venu raconter, et le père, et la fille, à travers des allers et retours entre présent et passé, où s'expriment alternativement l'un et l'autre, lui sur son enfance, ses débuts, ses années de vaches maigres, elle sur la douleur de grandir seule et orpheline.
Non, puis oui
Et bien sûr, c'est Catel qui a été chargée de mettre tout cela en images: «Au début, j'avais refusé le sujet, malgré l'amitié qui nous a unies dès notre première rencontre, se souvient la dessinatrice. Parce que mon truc, jusqu'à présent, c'était de faire des portraits de femmes importantes que l'Histoire, pourtant, avait oubliées. Or, René Goscinny était tout le contraire: homme et connu. Mais, finalement, à force d'évoquer l'histoire familiale avec Anne, j'ai compris que ce serait elle, la vraie héroïne de ce roman.»
Plus qu'un symbole à l'heure où Anne Goscinny marche consciemment dans ses pas et connaît, à son tour, le succès dans le domaine de la littérature jeunesse avec Le monde de Lucrèce, une série menée en duo avec Catel qui n'est pas, par bien des accents, sans rappeler le Petit Nicolas de son père: «Anne a passé sa vie à parler de son père, à écrire sur lui. Et à travers ce livre, elle a pu, m'a-t-elle dit très émue, encore entendre sa voix. Mais il était temps, aussi, qu'elle s'occupe d'elle. »
Une certaine identité française
Dans ce dernier hommage – qui en appelle au moins un autre puisqu'une suite, qui mettra d'ailleurs en scène la naissance d'Anne, est déjà prévue –, on découvre un autre René Goscinny. Celui de débuts contrariés, qui le verront grandir avec puis sans père en Argentine, tenter sa chance aux États-Unis et finalement débarquer sur le tard en France, où il créera pourtant, avec Astérix, un personnage devenu, avec le temps, un puissant symbole français: «Ce qui est assez drôle, finalement, poursuit Catel, c'est qu'il a été imaginé par un scénariste d'origine polonaise et ukrainienne, juif ashkénaze, et un dessinateur italien (NDLR: Uderzo). Ça raconte, quelque part, une certaine idée de l'identité française…»
Après avoir eu accès à toutes les archives mises à sa disposition par Anne Goscinny, parmi lesquelles les dessins qu'il «commit» entre 12 et 30 ans et qui sont actuellement exposé au CBBD (« il aurait pu devenir un excellent dessinateur »), Catel a aussi pu évoquer des sujets sur lesquels René s'épanchait peu, et notamment ce que la Shoah coûta à sa famille. Des événements qui permettent aussi de mieux comprendre le rôle qu'aura toujours le rire dans sa vie et dans sa carrière: «Il fut d'abord un moyen de défense, avant de devenir une arme.»
«Le roman des Goscinny», Catel/Anne Goscinny, Grasset, 344 p., 24€.
Exposition au CBBD du 3/9 au 20/10 (www.cbbd.be)