La fibre romanesque d’Isabelle Autissier
À travers trois générations, l’ancienne navigatrice met en scène l’URSS stalinienne dans «Oublier Klara». Sous la forme d’une quête mémorielle.
- Publié le 08-08-2019 à 06h00
«Suis-nous, nous avons des questions à te poser.» Face aux trois hommes en longs imperméables qui font irruption dans son appartement de Mourmansk, au nord du cercle polaire, Klara pressent que son sort est réglé. Elle est pourtant une géologue estimée, directrice de département. Mais dans l'URSS stalinienne de l'après-guerre, elle sait que la vie humaine ne vaut pas un kopek. Plus personne ne la reverra. Ni son mari, Anton. Ni son fils Ruben, âgé d'à peine cinq ans. Celui-ci deviendra patron pêcheur, ce qui donne lieu à une description spectaculaire de ce métier âpre et aux rapports humains souvent violents. Quant à Iouri, son fils élevé à la dure, il préférera s'exiler aux États-Unis où il deviendra ornithologue. C'est lui qui, à 46 ans, revenu auprès de son père mourant, va enquêter sur sa grand-mère, suivant des traces qui le conduiront chez éleveurs de rennes Nenets.
Dans son nouveau roman, Oublier Klara, l'ancienne navigatrice entremêle ces trois personnages aux destins dissemblables. «Ce livre est né d'un voyage que j'ai fait dans le Grand Nord avec Erik Orsenna, se souvient-elle. J'ai été assez suffoquée par l'état de délabrement et de pollution extrême de Mourmansk, où existent encore de nombreux symboles de puissance. Sur ce décor, s'est greffée une question qui m'habite depuis longtemps: comment se construit-on à l'intérieur de la grande histoire et de celle de sa famille? Notamment quand celle-ci renferme de lourds secrets?»
Ce roman est aussi une façon, pour elle qui est née en 1956, de renouer avec sa jeunesse marquée par des utopistes promettant une vie meilleure. «Je voulais comprendre comment marchait le système stalinien de l'intérieur. Car, finalement, les grandes tyrannies sont assez solides et il en existe encore aujourd'hui. Et si certains se révoltent, beaucoup de gens s'adaptent. Ce roman est donc une conjonction de ces différentes choses.»
Isabelle Autissier, «Oublier Klara», Stock, 322 p., 22€