Le cri de révolte de Grégoire Delacourt
«Mon Père» est un roman de colère contre les prêtres pédophileset leur protection par l’Église. Et d’alarme face au silence des victimes.
- Publié le 16-03-2019 à 06h00
Tout casser! C’est ce qu’entreprend de faire minutieusement Édouard Roussel dans une petite église. Tout ce qui est à sa portée, il le fracasse avec rage, au point de s’entailler les mains. Jusqu’à ce que survienne un prêtre au visage amical qui le soigne avant d’écouter les raisons de sa fureur. Et de lui révéler sa méprise: celui dont il veut se venger pour avoir abusé de son fils d’une dizaine d’années, ce n’est pas lui, mais son prédécesseur qui a été déplacé dans une autre paroisse. Comme l’atteste une lettre indigne et révoltante (inspirée de celle envoyée aux prêtres américains), dans laquelle l’évêché assure au coupable sa confiance et sa protection.
Mais l'histoire prend bientôt une tout autre tournure, débouchant sur un huis clos terrible, car il apparaît que le curé possède aussi ses zones noires. «Mettre face à face un parent et le bourreau de son enfant me hante depuis longtemps, explique Grégoire Delacourt. Le mal fait aux enfants me terrifie et je trouve meurtrier ce qu'ont fait des prêtres. De confession catholique, je suis allé chez les Jésuites, et je me sens trahi. Avec ses règles, sa hiérarchie, l'Église est comme un État incapable de protéger ses citoyens.»
Mon Père est un roman dense, très pensé, très écrit, presque incantatoire par moments, parsemé de références et citations bibliques, tirées notamment de l'Évangile de Matthieu. Scandalisé par le silence de l'Église, le romancier s'alarme de celui des victimes. Et la première d'entre elles est Isaak, le fils qu'Abraham accepte de sacrifier à la demande de Dieu, avant qu'un ange n'arrête son bras in extremis et que le supplicié soit remplacé par un bélier. «C'est là, gravé dans l'Ancien Testament, que se trouve le péché originel du silence, pense le romancier. Pas plus le père que le fils ne proteste ou ne se révolte face à la demande de Dieu. Et ils n'en parleront plus jamais.»
Le roman interroge le rôle du père, ou de la mère, qui ne parvient pas toujours à protéger son fils. Et, au-delà, pose la question du pardon. «Parce qu'il est mal compris, le pardon du Nouveau Testament autorise tous les crimes. Les prêtres pédophiles, qui le professent, s'affranchissent ainsi de leurs saloperies. Il n'y a ni rédemption ni réparations possibles, telles qu'il s'en trouve – avec des excès – dans l'Ancien Testament. Toute justice est annulée. Cette perversion de la notion de pardon est criminelle. Car pardonner, ce n'est pas effacer une faute, laver un passé, c'est permettre un infini. Il y a un temps de punition que je crois nécessaire.»
«On a tous, en soi, une part de mal que la civilisation, la morale, la culture ont contenu, poursuit Grégoire Delacourt. Aujourd'hui, on est, en majorité, incapable de tuer une personne qui se trouve face à nous, même si elle a fait du mal à notre enfant et qu'on le voudrait. Il y a une part humaine en nous qui continue de croire que l'autre doit rester vivant. On a été dépossédé de quelque chose d'archaïque qui est la vengeance: tu me fais du mal, je t'en fais en retour. Il faut que ça sorte. C'est pour que le monde ne soit pas un chaos que la notion de justice a été inventée. Mais celle à l'endroit des enfants et de leurs prédateurs ne fonctionne plus, elle est archaïque. En France, détruire un radar routier ou violer un enfant est passible de la même peine. Cela me révolte. Il serait temps de mettre les enfants au centre, car ils sont notre avenir.»
Grégoire Delacourt, «Mon Père», JC Lattès, 221 p.,