Le Prix Première à un roman noir
«Écorces vives» d’Alexandre Lenot est un western contemporain au cœur du Massif central. Un premier roman particulièrement abouti.
- Publié le 16-02-2019 à 06h00
Écorces vives est un roman choral. Mais si l'attention est alternativement focalisée sur cinq personnages, aucun ne prend la parole, comme pour mieux les observer à distance. Il y a Eli, un jeune homme qui vient de mettre le feu à une maison délabrée dans un hameau abandonné. Louise, qui a fui sa famille pour se réfugier dans une ferme tenue par un couple d'Américains sexagénaires recueillant des animaux abandonnés, principalement des chevaux. Laurentin, un capitaine de police venu finir sa carrière dans ce lieu reculé. Lison qui, enterrant son mari agriculteur, découvre ses multiples contacts féminins sur Facebook. Et Jean, un jeune du village. Face à eux, les gens du cru, chasseurs, ténébreux, défendant leur pré carré contre tout ce qui vient de l'extérieur.
«J'ai une forte affection pour cette forme chorale qui, confrontant des points de vue, atteint petit à petit une vérité sans clichés et me permet de clarifier ma pensée, commente Alexandre Lenot. Je voulais parler du monde paysan. De ce que l'homme moderne fait au milieu naturel. La ligne de partage entre mes personnages est celle qui distingue ceux qui exploitent la nature et ceux qui sont dans un rapport plus transactionnel, prêts à transiger.»
Porté par une écriture elliptique, quasi impressionniste, Écorces vives est d'abord un roman d'ambiance, peu dialogué, tout en intériorité, et pourtant bourré d'actions, parfois violentes. Sans que jamais, cependant, il ne soit violent, l'auteur préférant évoquer les situations plutôt que de les décrire dans le détail. «Ma première ambition était de traiter le lieu comme un personnage, précise-t-il. J'ai emprunté des codes du western, sans me contenter d'une étude de mœurs. Il fallait qu'à la fin, ça éclate.»
Que ceux qui n'aiment pas les polars soient rassurés: ce roman aurait pu se retrouver en littérature générale. «Si le roman noir n'évacue pas la réalité sociale d'un pays et la documente, cela me va très bien», apprécie le néo-romancier, qui rappelle qu'Aux animaux la guerre, le premier livre de Nicolas Mathieu (Goncourt 2018 pour Leurs enfants après eux), a paru dans la même collection que le sien.
Alexandre Lenot, «Écorces vives», Actes Noirs, 205 p., 20€