INTERVIEW | Régis Wargnier réussit son passage au roman
«Les Prix d’excellence», le premier livre du réalisateur d'«Indochine», suit un homme et une femme qui cherchent leur place dans le monde.
Publié le 17-04-2018 à 06h00
Mathilde est née au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, dans une famille de la bourgeoisie textile du nord de la France. L’entreprise familiale commerce avec le Ghana où son père a une autre épouse et d’autres enfants.
Fils d'un GI et d'une Vietnamienne, Georges a été adopté par un couple d'épiciers parisiens. Ces deux figures, dont nous allons suivre alternativement les trajectoires, jusqu'à leur rencontre, sont les héros des Prix d'excellence, le très réussi premier roman du réalisateur Régis Wargnier (Indochine, Est – Ouest, Pars vite et reviens tard, Le Temps des aveux.).
«J'avais leur histoire en tête, me demandant si j'allais en faire un film ou une série, se souvient le néoromancier. Mais comme j'avais envie de raconter plusieurs décennies, dans différents pays, je me suis dit que, pour le cinéma, je me censurerais. On se refuse plein de choses lorsqu'on écrit un scénario. Or je ne voulais pas penser à l'économie d'un film, quelles actrices choisir pour interpréter mon personnage de 17 à 50 ans, comment filmer la chute du Mur de Berlin, etc. Comme j'ai toujours eu envie d'écrire un livre, je m'y suis mis, dans une totale liberté à laquelle je n'étais pas habitué.»
À peine sortie de l’adolescence, Mathilde rompt avec sa famille et tombe amoureuse d’un photographe, qui la quitte pour une autre. Elle revient alors dans le droit chemin social, mais, à deux doigts d’épouser, le jour de ses 21 ans, un homme amoureux d’elle, elle fuit pour un cheminot sans le sou. Avec qui elle aura trois enfants.
Élève extrêmement brillant, spécialement dans les sciences naturelles, Georges, de son côté, s’inscrit dans une très select école privée de Suisse alémanique ouverte à des étudiants de nationalités et cultures diverses. Il s’y lie d’amitié avec un condisciple nord-coréen.
Par un hasard de circonstances, Mathilde, devenue une fervente cinéphile, est amenée à améliorer le scénario d’un film sur le nouveau TGV. Elle se prend au jeu et devient une scénariste reconnue. C’est ainsi qu’elle est au festival de Cannes où un premier long-métrage qu’elle a écrit figure en sélection officielle, repêché au dernier moment. entre-temps, elle s’est rendue à l’Humanity School of Excellence pour y faire un exposé sur les droits d’auteur, où elle a sympathisé avec Georges, de vingt ans son cadet. Car, si leurs parcours sont tracés en parallèle, une génération les sépare.
La construction du roman est très travaillée, les époques s’entrechoquent à l’instar des flash-back dans un film. Et ce n’est qu’à son tiers que Mathilde et Georges se croisent une première fois.
«Je m'attache à leur enfance et leur adolescence, je raconte leurs premiers amours, tout en veillant bien à les replacer dans leurs milieux sociaux respectifs, car je voulais qu'ils existent vraiment avant de se rencontrer, précise Régis Wargnier Dans mes films aussi, je travaille d'abord les personnages avant l'intrigue, je les nourris d'histoires, leur donne de la chair, des traits de caractère qui déterminent leurs comportements.» Et effectivement, ces héros de papier en deviendraient de magnifiques sur écran.
Régis Wargnier, «Les Prix d’excellence», Grasset, 425 p., 22€