Michèle Sarde rompt le silence familial
De Salonique à Paris, la romancière suit sa famille juive séfarade sur plusieurs générations jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Publié le 12-12-2016 à 08h05
«Dire mon enfance, c'était dire l'Occupation.» C'est pourquoi, longtemps, Michèle Sarde s'est tue. D'autant plus qu'elle ne connaissait qu'imparfaitement son histoire familiale. Née en 1939 en Bretagne et scolarisée dans une congrégation religieuse parisienne où on lui enseigne que les responsables de la mort de Jésus sont «les Juifs perfides», elle est baptisée à 8 ans. Mais ne peut faire sa communion trois en plus tard à cause de sa judéité qui lui est pour la première fois révélée. La fillette se sent «excommuniée ». Occultant et le christianisme, et le judaïsme, elle deviendra «traître aux deux». Avant d'essayer de comprendre.
«Après-guerre, le silence est collectif, rappelle-t-elle. C'est plutôt du non-dit que du mensonge. On ne veut pas entendre parler de ce qui s'est passé. Ma mère cherche avant tout à s'assimiler, à devenir une Française comme les autres. Et elle veut protéger sa fille dans la peur que cela arrive encore. J'ai eu, pendant longtemps, un certain ressentiment à son égard pour la façon dont elle a voulu faire de moi une petite chrétienne assimilée, refoulant l'identité juive sans toutefois la faire disparaître complètement. Mais lorsqu'à la fin de sa vie, elle a accepté de transmettre son histoire, elle a été formidable.»
De cette histoire, Michèle Sarde a fait un roman, fruit de dix années de recherches et d’écriture. Elle-même apparaît sous les traits de la petite Michou plongée dans un monde dont elle ne comprend pas les règles.
Ce livre magnifique aborde longuement les années d’Occupation, les déportations, la fuite à travers la France pour échapper aux rafles, la résistance de membres de la famille dans le maquis du Vercors. Mais il raconte aussi une histoire nettement moins connue: celle des Juifs de Salonique. Bannis pour la plupart d’Espagne en 1492 par les Rois Très Catholiques Isabelle et Ferdinand, apportant leur religion et leur langue, le judéo-espagnol, ils vivaient en bonne entente avec les musulmans et les chrétiens. Mais la conquête de la cité portuaire par les Grecs en 1912, suivie l’incendie de 1917 qui détruit tout le centre-ville où ils sont principalement installés, vont les pousser à partir. La famille de la romancière choisit Paris.
Remontant à ses arrière-arrière-grands-parents, Michèle Sarde raconte avec un élégant talent de conteuse l'aventure de ces Saloniciens contraints, plus de quatre siècles après leurs aïeux, de reprendre le chemin de l'exil. Sans jamais se départir de leur sentiment communautaire. «Pour préserver leur identité, commente-t-elle, ils se mariaient entre eux, entre cousins. Et quand ils sont arrivés en France, ils se sont arrangés pour que les jeunes judéo-espagnols se rencontrent lors de bals. Mais si le mariage de ma mère est arrangé, il est aussi d'amour.»
«Je suis très soulagée d'avoir écrit ce livre, sourit-elle. Pourtant, j'étais très angoissée car je savais que j'allais devoir traverser des choses très douloureuses. Et c'est ce qui s'est produit d'ailleurs. La dimension thérapeutique de ce livre, je l'ai ressentie après. Elle n'est pas de l'ordre de la pensée, mais de l'émotion et du psychologique.»
Michèle Sarde, «Revenir au silence», Julliard, 406 p., 21,50€