L’affaire Modeste et Pompon
Si Franquin s’est lancé dans «Modeste et Pompon» en 1955, c’est parce qu’il s’était fâché avec Dupuis. Tout profit pour Le Lombard, qui en publie aujourd’hui une splendide intégrale.
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Publié le 13-06-2015 à 06h00
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Avril 1955. S’il n’est pas encore la vedette intersidérale que le monde de la bande dessinée fera ensuite de lui, André Franquin est déjà l’un des noms qui compte dans le neuvième art. Un pachyderme dans son genre, et un artiste dont il est difficile de se priver lorsqu’on est un éditeur qui entend peser.
En avril 1955, pourtant, Franquin commet l'impensable: il signe un contrat avec Raymond Leblanc-de-chez-Tintin-en-face, un requin blanc de l'édition trop content d'ainsi jouer un tour de cochon à son grand concurrent, Charles Dupuis. Il faut dire que ce dernier avait donné le bâton pour se faire battre en escroquant son dessinateur vedette en droits d'auteur sur Spirou et Fantasio, série phare de l'empire marcinellois qu'il dessine alors et pour laquelle il a créé – haut fait de gloire – le personnage du Marsupilami.
La brouille avec Dupuis ne sera que passagère, le temps d'une démission éclair suivie d'un raccommodage en forme de déclaration d'amour un brin hypocrite. Mais entre-temps, André Franquin avait donné sa parole à Raymond Leblanc et Le Lombard. «Et mon père, se souvient Isabelle Franquin, la fille du dessinateur disparu le 5 janvier 1997, à 75 ans, était un homme d'une grande probité. Ce qui explique pourquoi il était vert de rage quand Dupuis a mangé la sienne.»
Toujours est-il qu'en cette belle année 1955, voilà André Franquin, tête de pont du journal Spirou, engagé sur un second front, chez Tintin. Avec, en prime, un autre problème: il n'a aucune série à proposer. Il lui faut donc trouver de nouveaux personnages. Ce sera Modeste et Pompon. Un inventeur (tiens, tiens…) et une ingénue à pompons, « qui n'est pas si potiche qu'on veut bien le dire», poursuit-elle. Pour une série familiale qui verra Franquin tâtonner, et même ramer, pendant quatre années à raison d'une planche par semaine, avant de céder le relais à Dino Attanasio. D'autant qu'il poursuit en parallèle les aventures de Spirou et Fantasio, et créera bientôt un gaffeur de renom qui ne tardera pas à prendre de la place, lui aussi.
«On voit, d'ailleurs, à travers certains gags, que mon père ne savait pas exactement où il allait, analyse encore Isabelle Franquin. L'un des premiers montre par exemple Modeste jouer au football, ce qu'il ne fera plus jamais. De la même façon, quand Améthyste, la cousine de Modeste, a un bébé, c'est… Modeste qui semble s'en occuper jour et nuit. Modeste, un homme, dans les années 50, ce n'est pas fou, ça?» Elle rit, l'héritière, mais ce bébé signifie beaucoup pour elle. À l'image de la série tout entière.
«C'est simple: ce bébé, c'est moi. Il a mes jouets, mon lièvre en peluche, celui que j'ai reçu de ma marraine, ma table à langer, mon petit fauteuil d'enfant, et mange de la phosphatine comme je le faisais. Alors, oui, forcément, Modeste et Pompon est une série qui compte, sentimentalement »
Et qui aura permis à Franquin de se former à la mécanique du gag en une planche, dans laquelle il excellera ensuite avec Gaston Lagaffe. Mais cela, c’est déjà une autre histoire…
«L’intégrale des aventures de Modeste et Pompon», Franquin/Goscinny/Greg, Le Lombard, 264 p., 29€.