Au cœur des expérimentations nazies
Dans les camps de la mort, des médecins se sont servis de cobayes humains. Michel Cymes cherche à comprendre pourquoi dans «Hippocrate aux enfers».
Publié le 21-02-2015 à 05h11
«Comment un médecin peut-il devenir un bourreau? Comment un homme qui s'est donné pour destin de soigner les autres peut-il les faire souffrir?». C'est pour répondre à ces questions que Michel Cymes, lui-même médecin et dont les deux grands-pères sont morts en déportation, a écrit Hippocrate aux enfers. Il est allé «voir» ce qui s'est passé à Auschwitz, Dachau ou Mauthausen pour essayer de comprendre pourquoi, au nom de la science et du progrès médical, des prisonniers juifs, tziganes et autres ont été transformés en cobayes, mourant pour la plupart au terme d'atroces souffrances. Hitler, végétarien, avait en effet interdit toute expérimentation animale. Outre Mengele, le plus célèbre d'entre eux, des dizaines de médecins, ni fous, ni incompétents, se sont ainsi livrés au pire.
Vous dites avoir mis des années avant de pouvoir écrire ce livre. Quel en a été le déclic?
Je voulais être disponible pour ne pas le bâcler. Ce qui a pris le plus de temps, ce sont les recherches. Je voulais être prêt psychologiquement à passer un an à lire des archives et des livres sur ce sujet.
C’est d’abord le médecin qui écrit?
Oui. D’une part, je me suis demandé comment des médecins ont-ils pu faire cela, estimant que leurs sujets d’expérimentation ne sont pas des êtres humains comme les autres. Pour Mengele, tout est inné, rien n’est acquis. Les gênes de dégénérescence sont donc dans les races juives et tziganes et rien ne pourra les améliorer. D’autre part, je voulais que le lecteur se mette à la place des victimes de ces expériences. La plupart des livres ayant été écrits par des historiens ou des journalistes, on ne sait pas comment les organismes réagissent, quelles sont les souffrances endurées. Que ressent-on par exemple lorsqu’on est dans une cabine de dépressurisation ou plongé dans une eau glacée?
Les médecins affirment œuvrer au nom de l’amélioration de la science.
Ils y croient. Rascher fait ses expériences en hypothermie et en cabine de dépressurisation pour sauver les aviateurs allemands et Beiglböck celles sur l’eau pour sauver ceux qui tombent dans la mer et se déshydratent. Les recherches sur le typhus sont menées parce que, sur le front, les soldats allemands tombent comme des mouches à cause de cette maladie. Gebhardt casse les jambes à coups de marteau pour vérifier si les sulfamides peuvent être efficaces contre les infections.
Mais ont-ils fait de réelles découvertes scientifiques?
Pratiquement rien, sinon peut-être en ce qui concerne l’hypothermie. Ils ont surtout fait beaucoup de progrès dans le mal et pour faire mourir.
Pourquoi Josef Mengele est-il obsédé par la gémellité?
À l’époque, on n’a pas beaucoup de connaissance sur les jumeaux. Mengele veut en découvrir le secret – qui n’existe pas – et l’appliquer à toutes les femmes aryennes afin de peupler l’Europe deux fois plus vite. Ce raisonnement va de pair avec celui de Carl Cauberg qui défend la démocratie négative consistant à faire en sorte que ceux qui ne méritent pas de se reproduire ne se reproduisent plus.
Au-dessus d’eux, il y a Himmler, à qui ils envoient des rapports.
Scientifique raté, obsédé par la science, il avait fondé l'Ahnenerbe, un organisme scientifique qui envoyait des missions partout sur la terre à la recherche des origines de la race aryenne. Il donnait le feu vert à tous ces expérimentateurs en disant: «Essayez toujours, il en sortira peut-être quelque chose. »
Michel Cymes, «Hippocrate aux enfers», Stock, 214 p., 18,50€