« Gary aurait dû dire : Ajar, c’est moi »
Romain Gary fut «l’ami intime» d’André Asséo qui, à sa mort, s’est vu confier la responsabilité de son fils Diego. Il en parle toujours avec «les larmes aux yeux».
Publié le 08-05-2014 à 07h00
Dans Mes aveux les plus doux (1), André Asséo, ancien directeur chez Polydor et animateur des «Étoiles du Cinéma» sur France Inter, se souvient de Barbara, Brel, Brassens, Galabru, Arletty, Nucéra, Piccoli, Birkin ou Trintignant, mais, surtout, de Romain Gary qui, avec Joseph Kessel, fut sa rencontre la plus marquante.
Dans quelle condition l’avez-vous connu?
En 1974, à la lecture de
La Nuit sera calme, un magnifique et formidablement drôle entretien fictif, je suis tombé amoureux de lui. Un coup de foudre. Je l'ai fait passer dans toutes les émissions de la première chaîne dont j'étais le directeur des programmes. Et, jusqu'à sa mort nous ne nous sommes plus quittés. J'ai énormément aimé cet homme charmeur et doté d'un extraordinaire humour.
Après l’avoir adulé, la critique l’a durement attaqué. Comment expliquez-vous ce revirement?
Je ne l'ai pas compris car il était resté le même. C'est, je crois, parce qu'il était gaulliste. Un jour, dans la brasserie Lipp, est entré le critique de L'Express qui, à propos d'Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable, avait écrit: «Il paraît que Monsieur Gary parle sept à huit langues, mais parle-t-il le français?». Il est allé lui mettre deux paires de baffes et, en se rasseyant, m'a dit: «Je sais que ça ne sert à rien mais cela fait du bien». Il souffrait énormément de ce mépris. Peut-être est-ce l'une des raisons pour lesquelles il est devenu Ajar.
Il vous a d’ailleurs avoué que c’était lui. Vous vous en doutiez?
Pas du tout. Et il ne m'en a jamais expliqué les raisons. Il n'avait pas calculé que cela prendrait une telle importance, je ne crois pas qu'il pressentait le triomphe d'Ajar. Il en a d'abord rigolé puis c'est devenu une situation intenable, tant vis-à-vis de la presse que de son petit-cousin, Paul Pavlowitch. Il aurait dû refuser le Goncourt pour La Vie devant soi en dévoilant le subterfuge. Cela aurait provoqué un éclat de rire général. Mais il ne l'a pas fait. Il pensait que, si les gens savaient que Gary et Ajar étaient la même personne, il aurait le Prix Nobel.
Quelle importance Jean Seberg, avec qui il a vécu entre 1960 et 1968, occupa-t-elle dans sa vie?
Capitale. Il a souffert atrocement de son suicide en 1979, il est tombé dans une dépression totale, ne parlant plus que par monosyllabes. Le lendemain de sa mort, il a fait une conférence de presse accusant le FBI de meurtre car elle était devenue l’égérie des Black Panthers. Il a reçu un mot de son nouveau directeur affirmant que les méthodes employées ne seraient plus les mêmes. Et un quotidien français a écrit que, décidément, il ne savait que faire pour qu’on parle de lui. Or, il m’a expliqué en larmes que, s’il avait fait cela, c’était pour l’honneur de leur fils Diego.
Son suicide, le 2 décembre 1980, est-il lié à cette mort?
Peut-être, Et il n’avait plus, à mon sens, de combat à livrer. Mais il était cyclothymique, tantôt heureux, tantôt désespéré.
Lorsque j’ai réalisé son portrait pour l’émission «Un siècle d’écrivain», j’ai découvert que des années auparavant, alors qu’il était au faîte de sa gloire, il avait écrit à ses amis avoir envie de se suicider.
(1) L’Archipel, 221 p.