Un festival de souvenirs émus
Du Festival de Cannes 2006 , Frédéric Mitterrand a ramené un livre sentimental où les films et rencontres provoquent un reflux d'émotions anciennes.
Publié le 21-06-2007 à 06h00
Que représente le cinéma pour vous?
J'ai toujours été enclin à fuir une certaine réalité familiale, affective. J'y étais en revanche attaché dans sa représentation cinématographique. Ma vie, je la vivais en partie à travers les films. Dans les mélodrames hollywoodiens, je voyais des représentations de ma famille, des situations faites de frustrations et de rapprochements. À la maison j'avais du mal à les comprendre mais tout d'un coup, elles m'apparaissaient claires. Je retrouvais ma mère à travers Lana Turner ou Rita Hayworth, dont je suivais par ailleurs la vie sentimentale agitée dans les journaux de cinéma qu'achetait l'un de mes frères.
Et le Festival de Cannes?
Il était annexé à cet univers mythique. Dans les années 50, nous avions la télé vision à la maison et je prolongeais par son spectacle ce que je voyais au cinéma, avec les films du dimanche soir. Pendant le Festival, je regardais les émissions de François Chalais, avec des vedettes, de la gaieté, sa manière de raconter et de devenir lui-même le héros d'une histoire.
Comment a-t-il compté dans votre vie?
J'y suis allé lorsque j'avais mes salles de cinéma à Paris, à partir de 26-27 ans. C'était une période de jeunesse, d'amour. À Cannes, où j'allais avec les gens que j'aimais, les relations devenaient plus faciles, plus insouciantes. C'étaient des plages de vie très heureuses. La curiosité pour le monde entier, que j'avais depuis l'enfance, était rassasiée par la vision de films internationaux.
Cannes, c'est aussi un autre monde...
Oui, on y vit dans une sorte de bulle. Mais c'est également une métaphore de la vie. On y voit de belles choses venant de partout tout en assistant au spectacle de la comédie sociale dans ses aspects les plus ridicules, et à un certain nombre de rituels, comme la montée des marches. On y ressent aussi une certaine solitude en observant la foule agitée de passions exagérées. Mon livre n'est d'ailleurs pas sur le Festival, ce n'est pas Fredo chez les stars ou Fredo cinéphile. Je m'intéresse d'abord à la vie telle qu'elle circule pendant ces dix jours.
Vous étiez ému en y retournant l'an dernier?
Oui, parce que c'était une autre étape. Ma jeunesse était finie, les gens avec qui j'étais venu étaient soit morts, soit sortis de ma vie. Pourtant, ça n'a pas fondamentalement changé, même si il y a plus de monde et si la télévision a pris une importance énorme. Une des raisons pour lesquelles j'y suis allé était la volonté de me remettre à niveau en voyant les films d'aujourd'hui. Parce que je voudrais tourner un nouveau film.
Dans votre livre, le cinéma n'est qu'un prétexte.
C'est d'abord un film sur la famille, c'est pourquoi je l'ouvre et je le ferme sur les fils d'Errol Flynn et d'Anna Magnani, deux manières d'approcher ma relation à mes parents. J'avais de très bonnes relations avec mon père que j'aimais beaucoup, qui est mort il y a cinq ans. Je me suis toujours posé la question de qui serais-je face à lui et à mon oncle, François. Ma relation avec ma mère, qui est toujours là, était plus chaleureuse. Si j'ai de la nostalgie, ce n'est pas du passé en général, mais des relations familiales.
La télévision vous manque?
Oui, un peu. Mais je n'y ai plus de place, ce que je propose, personne n'en veut. La situation s'est considérablement dégradée, les décideurs sont souvent des robots. Mais j'y suis encore un peu, je viens de finir un documentaire sur Grace Kelly. Du pur Frédo.
Frédéric Mitterrand, "Le Festival de Cannes", Robert Laffont, 257 pages, 19