Quentin Dupieux: "J’ai désacralisé le fait de faire un film"
Le Français Quentin Dupieux tourne vite mais ça ne veut pas dire qu’il prend les choses à la légère. La preuve avec son dernier film, une comédie huis clos. Interview d'un réalisateur qui ne se prend pas la tête.
- Publié le 14-09-2023 à 04h00
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Comédie de Quentin Dupieux. Avec Raphaël Quenard et Blanche Gardin. En salles le 13/9.
Yannick de Quentin Dupieux vient de sortir chez nous mais cartonne déjà en France. Tournée en six jours, en cachette, cette comédie met en scène un spectateur, Yannick, qui interrompt une pièce de théâtre pour crier son mécontentement.
Quentin Dupieux, ce projet est particulier. Vous avez tourné vite, avec un budget très limité.
Comme personne n’était au courant et qu’on l’a fait sans rien demander à personne, on avait le droit de rater. C’était une prise de risque artistique mais on n’avait pas l’impression de dépenser l’argent public. On est quand même partis le lundi sans savoir si on allait pouvoir le faire en entier. C’était un mystère. Je suis déjà libre mais dans cette configuration-là si on se plantait, si c’était moyen, il n’y avait pas de drame donc on y est allé le cœur léger.
Vous sortez au moins un film par an. Le fait d’aller vite, ça vous donne une liberté?
Oui, bien sûr. Je m’autorise à aller vite parce que j’ai désacralisé le fait de faire un film. Je n’arrive jamais à me dire que c’est important. Un pompier qui éteint un incendie, ça, c’est important. Faire du cinéma, c’est chouette, c’est un métier extraordinaire, j’ai beaucoup de chance mais jamais je ne me dis que c’est important. Ça ne veut pas dire que je ne fais pas mes films sérieusement. Je donne le meilleur de moi-même à un moment donné pour faire le meilleur film possible mais ce n’est pas le truc de ma vie. Je sais que ça n’a aucun intérêt parce qu’on est tous condamnés à mourir. (rires)

Il y a quand même un élément important, non? Divertir.
C’est ça! À la fin de la chaîne quand j’assiste à une projection et que les gens rigolent ou quand je sens que ça plaît et que les gens s’amusent c’est là que je suis vraiment content, je suis content de partager. Je crois que je ne suis pas concentré sur moi, mon œuvre.
Votre personnage, Yannick, interrompt la pièce parce qu’il s’ennuie. Vous, qu’est-ce qui vous énerve au cinéma?
J’ai souvent ce sentiment que le minimum n’est pas fait. Il y a tellement de films où on a l’impression que les gens s’en foutent. Je parle de films français essentiellement, mais même certains films américains. On sent que les gens sont là pour être payés et on voit dans les yeux des comédiens qu’il n’y a aucune conviction. Ça, c’est un truc qui moi m’ennuie, me terrorise et me donne envie de partir. Après, je ne serais pas ce mec qui se lève et donne son avis à voix haute, ça n’a aucun intérêt.
C’est effectivement un film qui s’attaque à la critique. Elle est trop facile aujourd’hui?
Tout le monde a le droit d’aimer ou de ne pas aimer. Ce qui est gênant c’est cette critique rapide, lapidaire, des réseaux. Quelqu’un qui te crache au visage en deux secondes sur internet ce n’est pas recevable. Parce qu’on ne fait de mal à personne en faisant un film, a priori. Je n’ai pas tapé quelqu’un, je n’ai rien fait donc il y a un truc un peu disproportionné. Ce que fait Yannick et c’est là que le film est intéressant à mon avis, c’est qu’il émet une critique mais il a l’intelligence de proposer une alternative. On ne va pas se mentir, c’est facile d’être spectateur et d’attendre d’être diverti par quelqu’un qui a travaillé. La moindre des choses quand on a une critique à émettre, c’est de pouvoir toi-même t’exposer à la critique.
Yannick/Raphaël, un personnage
Un des gros points forts de Yannick, c’est son interprète, Raphaël Quenard. Un comédien dont la cote ne cesse d’augmenter. «Il a un charisme réaliste, réagit Quentin Dupieux. Malgré ses airs un peu fantasques et hors du commun il arrive à jouer des situations concrètes et réelles magnifiquement. C’est un talent très particulier, il a cette faculté à complètement faire oublier que c’est un comédien qui joue.»
De son côté, Raphaël a adoré le côté transgressif du personnage écrit pour lui. «C’est magnifique à jouer parce qu’on est contraint en permanence par un milliard de règles. Après, ce que j’aime, c’est qu’il est pur. Ce n’est pas un intellectuel mais il est brillant quand même. Il est simple, concret mais dans sa simplicité il est puissant, éloquent et il arrive à s’attirer les faveurs. Il n’est jamais menaçant, même avec son arme. C’est plus un merdeux qui ne prend pas conscience de toutes les limites que quelqu’un de lambda s’impose à lui-même, du respect des spectateurs et du spectacle qui est en train de se jouer. Lui, il y va. La naïveté avec laquelle il va dire “ben jouez autre chose”, c’est ça que j’aime.»
