Incompris en France, le nouveau film de Benoît Mariage débarque chez nous
Benoît Mariage ose rire de et avec la communauté marocaine de Bruxelles dans un film ovni, incompris en France, et qui sort chez nous ce mercredi. Rencontre.
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- Publié le 05-06-2023 à 06h00
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"Habib, la grande aventure", comédie de Benoît Mariage. Avec Bastien Ughetto, Catherine Deneuve, Thomas Solivérès, Sofia Lesaffre et Farida Ouchani. Durée: 1 h 28. Sortie le 7/6.

Mine de rien, voilà bientôt dix ans que Benoît Mariage réinventait son ami Benoît Poelvoorde en agent de footballeur dans Les rayures du zèbre, son dernier film en date. Un «anniversaire» qu’il ne fêtera finalement pas puisque le cinéaste namurois d’origine, mais brabançon d’adoption depuis qu’il a «migré» du côté de Mont-Saint-Guibert, sort ce mercredi Habib, la grande aventure, une comédie burlesque et audacieuse dans laquelle un jeune comédien issu de la communauté belgo-marocaine de Bruxelles peine à assumer ses vélléités artistiques.
Au départ de ce projet singulier, fictivement situé à Molenbeek, se trouve une rencontre, doublée d’une anecdote : «Il y a quelques années, se souvient Benoît Mariage, un jeune acteur d’origine marocaine (NDLR : Bilal Aya) qui avait bossé avec moi dans le cadre d’un atelier avec mes étudiants de l’IAD, et que j’avais félicité pour son rôle dans Le tout nouveau testament de Jaco Van Dormael, m’avait confié qu’il n’avait jamais osé dire à son père en quoi son rôle consistait. En l’occurrence, il incarnait un gigolo au service de Catherine Deneuve. Il m’a dit : ‘‘Quand mon père m’a demandé, je lui ai dit que je jouais un gars qui allait faire des courses avec une vieille dame.’’ J’ai trouvé ça fou : le mec n’a même pas pu se réjouir de cet événement pourtant incroyable!».
La France ne voulait pas de son titre
L’épisode a également fait écho chez le réalisateur d’aujourd’hui 61 ans, issu d’une petite bourgeoisie namuroise qui ne le prédestinait pas, non plus, à travailler dans le cinéma. Aussi, le personnage principal de son film, le dénommé Habib, voit-il son quotidien changer du tout au tout lorsqu’on lui propose, et alors qu’il est en pleine répétition pour incarner… Saint François d’Assise au théâtre, d’à son tour jouer un gigolo au service de – devinez qui – Catherine Deneuve.

L’heureuse nouvelle a, effectivement, de quoi le rendre schizophrène puisqu’il n’est, d’un côté, pas question de révéler la nature exacte de ce rôle au sein du cercle familial, tandis que de l’autre, il sait que c’est «grâce» à ses origines qu’il avait obtenu le droit d’incarner Saint François, façon de permettre à un ami dramaturge pour le moins pédant de faire le «buzz». «C’est, résume Benoît Mariage, l’histoire d’un mec sans arrêt ballotté entre les injonctions contradictoires qui émanent des différents milieux auxquels il émarge.»
Le sujet, pourtant abordé avec «beaucoup de naïveté», est évidemment très «touchy». Ce dont le cinéaste, qui souhaitait initialement baptiser son film Saint François de Molenbeek, a pleinement conscience aujourd’hui. «J’adorais ce titre, mais le distributeur français m’a fait comprendre que ce n’était pas possible, parce que Molenbeek reste encore très lié aux attentats que l’on sait», regrette-t-il aujourd’hui.
Communautaire, pas communautariste
Résultat : le film, qui y est projeté depuis mi-avril, a connu une sortie très confidentielle en France (tout le contraire d'un Frédéric Sojcher), malgré des critiques plutôt positives (et plutôt méritées). Benoît Mariage reprend pourtant son bâton de pèlerin pour convaincre le public belge de découvrir cette comédie décalée et absurde, communautaire, mais sûrement pas communautariste : «Paradoxalement, les passages et traits d’humour qui pourraient poser problème ne sont mal vécus que par une forme d’intelligentsia. Pour les retours que j’en ai eu, la communauté, elle, accueille la chose plutôt positivement; elle aime rire et se dit même plutôt contente qu’on ne montre pas un jihadiste qui se fait exploser ou un dealer en train de se faire arrêter dans un parc. Mais juste un acteur qui cherche sa voie, entouré de l’amour d’une famille compliquée… comme elles le sont toutes.»
Trois jours avec Catherine Deneuve
On peut avoir plus de 60 ans, six longs-métrages derrière soi... et avoir encore les yeux qui brillent au moment de crier «Tournez!». Ce n’est pas Benoît Mariage, qui a obtenu la participation de Catherine Deneuve dans son propre rôle pour Habib, la grande aventure, qui dira le contraire : «C’est marrant, sourit-il, car c’est la question qui est revenue le plus souvent en France aussi, alors qu’il ne s’agissait que de trois jours de tournage.»
Trois jours durant lesquels il a toutefois dirigé l’icône du cinéma français… après avoir cru essuyer son refus : «Elle avait lu son scénario, m’avait convoqué (sic) à Paris, et quand je suis arrivé, elle m’a dit tout de suite : ‘‘Sachez, Monsieur Mariage, que s’il y a une chose que je déteste faire et que je ne fais jamais au cinéma, c’est de jouer mon propre rôle.’’ Et c’est vrai que même pour la série Dix pour cent, elle avait refusé. Notre inconscience aura finalement été d’écrire le scénario du film avant de lui en parler. Je lui ai donc expliqué que si elle refusait, tout s’effondrerait. Et elle a fini par accepter, à mon grand soulagement. Ça a vraiment été un beau cadeau.»
