Streaming: saturer pour mieux sauter?
HBO a annoncé son arrivée sur le marché européen du streaming vidéo fin 2021. D’autres devraient suivre. Et la bulle exploser? Pas sûr.
Publié le 25-01-2021 à 07h00
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Trop de streaming va-t-il tuer le streaming? La question mérite d’être posée depuis que de nouveaux acteurs ont annoncé leur intention d’aussi s’implanter en Europe, aux côtés des omnipotents leaders que sont Netflix, Amazon et Disney. C’est le cas de HBO, une chaîne qui appartient à la constellation Warner. Et qui a programmé le lancement de sa propre plateforme sous nos latitudes fin 2021.
Effet d'annonce destiné à booster leurs résultats boursiers? Pas uniquement: la volonté est réelle, du côté des networks américains et des studios hollywoodiens, de ne pas rester à la traîne dans la conquête de ce nouvel eldorado. Mais n'est-il pas déjà saturé? « La question est régulièrement posée depuis deux ou trois ans en France et au Royaume-Uni, souligne Alain Le Diberder, un auteur français spécialiste de la question qui a sorti, fin 2019, un ouvrage intitulé La nouvelle économie de l'audiovisuel. Et on voit qu'au bout du compte, ces marchés ont pu absorder Disney + sans aucun souci.»
La question de la saturation se pose depuis deux ou trois ans en France et au Royaume-Uni, mais on voit qu’au bout du compte, ces marchés ont pu absorder Disney + sans souci
Faut-il en déduire que les poches du consommateur sont extensibles à souhait, puisque tout le monde sait que les petits ruisseaux font les grandes rivières, et les petits abonnements les grosses factures? Pas forcément: « En Europe, beaucoup de gens sont abonnés à des services télévisés autour de 40 à 50€ par mois. Beaucoup font déjà le choix de se désabonner et vont vers le moins cher, à savoir les plateformes de streaming, constate Alain Le Diberder. En France, l'abonnement à Canal + tourne, par exemple, autour de 48€ mensuels. Pour ce prix-là, vous pouvez avoir Netflix, Amazon, Disney, HBO et encore d'autres services. On est donc encore très loin d'être arrivé à saturation. »
Fortnite? «Pas un vrai concurrent»
La question du temps se pose différemment: «Je sais que Reed Hastings (NDLR: le patron de Netflix) a déclaré que son principal concurrent était… Fortnite. Mais même si les gens des jeux vidéo bobardent à ce sujet, et racontent que désormais, les seniors et les femmes jouent également, ce public-là est d'abord un public masculin, très jeune, qui passe parfois 300 ou 400 heures sur un seul jeu. C'est une bulle, pas un concurrent – à part le piratage, les grandes plateformes déjà en place n'en ont aucun. A contrario, un abonné satisfait de Netflix a de quoi se gaver pendant longtemps sans regarder ce qui existe ailleurs.»
Les gens qui ont regardé et aimé Game of Thrones ne vont pas prendre HBO Max juste pour le revoir
Sous-entendu: pas sûr qu'il soit très ouvert à de nouvelles aventures sur d'autres plateformes. D'autant que celles-ci pourraient, selon Alain Le Diberder, s'avérer décevantes: «HBO possède une certaine notoriété, grâce à quelques séries fortes, mais c'est un nom qui ne parle pas vraiment au grand public. Et c'est pire encore pour Universal. En outre, ces services vont arriver avec ce qu'on appelle des catalogues ''verticaux'': ils ne proposeront que des séries ou des films qu'ils ont produits, contrairement aux plateformes généralistes que sont Netflix ou Amazon. Or, les gens qui ont vu et aimé Game of Thrones ne vont pas prendre un abonnement juste pour le revoir. Dans l'esprit du spectateur, toutes ces offres risquent, au final, de se ressembler»
Netflix, Amazon et Disney + ont 20 ans d’avance, et vont les garder
Ces nouveaux acteurs pourraient donc investir à perte. Ce qui, bizarrement, pourrait ne pas constituer un problème: «Toutes ces firmes appartiennent à de grands fonds financiers, explique Alain De Diberder. Et ces investissements sont accollés à d'autres investissements. Si bien qu'un service déficitaire pourrait s'avérer… rentable en bourse. Dans un monde rationnel, ces services verticaux disparaîtraient forcément. Mais ces jeux boursiers rendent les pronostics compliqués même si, à terme, il est probable que ces nouveaux acteurs finissent par disparaître au profit d'une rationalisation qui ne verrait subsister que les trois grandes plateformes généralistes déjà en place: Netflix, Amazon et Disney. Elles ont 20 ans d'avance… et vont les garder.»