Elle revendique le droit à la banalité
Ex-comédienne noire devenue réalisatrice, Amandine Gay a réalisé, avec «Ouvrir la voix», un docu sur la place de la femme noire dans notre société. Elle nous en parle.
Publié le 01-12-2017 à 06h00
Avec Ouvrir la voix, sorti mercredi, Amandine Gay a choisi de donner la parole aux femmes noires. Et de pointer, avec elle, les limites de leur «condition», sur fond de stéréotypes et de racisme ordinaire. Rencontre.
Amandine, votre film est né d’un constat: il y a besoin d’ouvrir la voix des femmes noires francophones au cinéma, où elles sont peu représentées…
J’étais comédienne. J’ai donc vu que la représentation des femmes noires dans le monde audiovisuel en France était problématique. Elle tourne généralement autour de deux axes: la délinquance ou la migration. Et souvent, ce sont des histoires malheureuses. J’ai donc commencé par écrire des programmes courts de fiction, avec de vrais personnages noirs, qui ne seraient pas des rôles stéréotypés.
Que le fait qu’elle soit noire ne soit pas le centre de l’histoire…
Oui. Parce que pour l’heure, il n’y a pas de possibilité de banalité dans la représentation des personnes noires dans le cinéma francophone: il faut que notre présence fasse partie de l’histoire. Ici, c’est un couple mixte, ou c’est pour parler de la «banlieue». Pourtant, en banlieue, il y a beaucoup de familles «banales», issues par exemple de la grande migration caribéenne des années 70.
En gros, de la main-d’œuvre?
Oui, pour le petit fonctionnariat. Des postiers, des infirmières, des policiers. Des gens qui vivent, pour certains, dans un petit pavillon, dans une certaine forme de banalité, en effet. Mais la petite famille noire sans histoires, on ne trouve pas ça au cinéma. Ça doit toujours être un couple mixte.
Sinon, comme c’est dit dans le documentaire, on va dire que c’est du «communautarisme». Alors qu’un film avec uniquement des blancs, c’est «juste» un film…
Exactement. C’est aussi la question de l’universel. On aura avancé en France – et en Belgique, ou en Suisse, ou au Québec – le jour où quand dans un film, la «famille Durand» se trouvera être une famille noire, comme n’importe quelle autre. C’est pour ça que je parle de banalité: non seulement, c’est dur d’être représentées, mais c’est encore plus dur d’arriver à cette banalité dans la représentation. J’attends le jour où on quand on écrira un personnage, on fera passer les auditions à tout le monde, noirs, Arabes, Asiatiques, handicapés, etc.
Vous-même, c’est pour cette raison que vous avez stoppé votre carrière d’actrice?
Ça m’était devenu insupportable: comment accepter de renforcer des clichés et des stéréotypes dans mon travail alimentaire, alors que j’essaie par ailleurs de les déconstruire dans mon travail militant? Ça ne fonctionnait plus. Mais des comédiennes noires en France, il y en a. Après, la question c’est: est-ce qu’elles travaillent, et que se voient-elles offrir comme rôles?
C’est difficile aussi parce que les gens ont cette vision binaire du racisme: le raciste, c’est celui qui porte une croix gammée. On a davantage du mal à voir le racisme ordinaire, à admettre qu’on puisse l’être soi-même…
Il y a des personnes qui sont convaincues de la suprématie blanche. Et ceux-là votent FN, en effet. Après, on a tous et toutes des préjugés, et on peut tous tenir des propos racistes, sexistes, validistes. L'enjeu, c'est de sortir de l'affirmation: «Avoir tenu un propos raciste fait forcément de vous un raciste». Ce n'est pas vrai: ça veut dire que par moments, on peut avoir des propos excluants, et qu'on ne s'en rend même pas compte. Parce qu'on n'est pas dans la réalité de ces personnes-là. Arriver à sortir du rapport à son ego, ça permet aussi le dialogue.
«Ouvrir la voix», documentaire d’Amandine Gay. Durée: 2 h 02.