Des monstres en noir et blanc
Jordan Peele signe un premier film étonnant, qui mêle horreur, science-fiction et militantisme au service de la cause des Afro-Américains. C’est aussi flippant que diablement intelligent.
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Publié le 01-05-2017 à 10h23
Voilà une fameuse entrée en matière. Jusqu'à présent, l'humoriste et scénariste Jordan Peele était, du haut de ses 38 ans, surtout connu pour sa contribution au show d'humour Kay & Peele, diffusé depuis 2012 par la chaîne américaine Comedy Central. Avec Get out, pourtant, il signe des débuts fracassants – 172 millions$ engrangés depuis février aux États-Unis, pour un budget initial de… 4,5 millions$ – dans la jungle du septième art.
Fracassants, et tout de même assez inattendus, il faut être honnête. Pour preuve, si Jordan Peele n’a pas traversé l’Atlantique pour venir défendre son film sous les latitudes européennes, c’est parce que personne, à commencer par lui, ne pensait que ce propos-là pourrait avoir un écho sur un autre continent.
Il faut dire que Get out se penche sur une problématique très américaine, a fortiori depuis que Donald Trump a emmené femmes et enfants vivre dans une grande bâtisse blanche, du côté de Washington: le sort des Noirs américains dans une société où le Blanc entend visiblement continuer à faire la loi. Commencée après l'investiture de Barack Obama, l'écriture du projet s'est poursuivie jusqu'à l'élection de l'ami Donald. Pour sortir, peut-être, au meilleur moment: celui où il convient d'éclairer les consciences.
Intelligemment, pourtant, Peele ne signe pas qu'un film militant. Pour parvenir à ses fins, il use des codes de sa génération. À commencer par ceux de l'épouvante. Tout débute comme un petit film d'horreur assez classique. Tenez: après quelques mois d'idylle, Chris, un beau black qui rêve de devenir photographe, s'apprête à aller passer le week-end chez les parents blancs de la belle rose. Tension. Le stress est amplifié lorsque Chris découvre que tant le jardinier que la cuisinière de la maison familiale sont… noirs. La famille de Rose se montre pourtant très accueillante: le père vante les mérites d'Obama, pour qui il «aurait voté une troisième fois s'il avait pu». Et nul ne semble guère gêné par la couleur de sa peau.
Patiemment, froidement, notamment à l’occasion d’une garden-party ô combien dérangeante où sont conviés tous les amis les plus étranges de la famille, Jordan Peele glisse pourtant quelques indices qui laissent à comprendre que derrière les sourires de façades se cache peut-être une vérité cachée, bien moins avouable.
On n'en dira pas davantage, sous peine de flinguer tout suspense. On se contentera de saluer le talent d'un jeune réalisateur à suivre. Et qui réinvente, à sa façon, le mythe de Frankenstein pour mieux dénoncer un système: celui qui voudrait qu'un citoyen noir-américain vaudrait moins que son homologue blanc. Et même à grand renfort d'humour (Lil Rel Howery est, paradoxalement, la révélation comique du film) voire de science-fiction (on se retient d'en dire trop, vraiment), le discours de Peele fait mouche. Au point qu'il a d'ailleurs été comparé, aux États-Unis et dans un genre très différent, au travail de Raoul Peck sur son documentaire choc inspiré de l'œuvre de l'écrivain James Baldwin I'm not your negro. Ça tombe bien: il sort mercredi prochain.
Thriller/Science-fiction/Film d’horreur de Jordan Peele. Avec Daniel Kaluuya et Alison Williams. Durée: 1 h 43.