D’amour et de chair fraîche
Une adolescente depuis toujours végétarienne se découvre un goût insatiable pour la chair crue. C’est un premier film, de genre, seul en son genre, qui a fait sensation dans de nombreux festivals.
Publié le 14-03-2017 à 14h13
C’est une jeune femme élancée mais pas gracile, taille mannequin, longue chevelure blonde lisse et décoiffée, une femme superbe à l’allure rock. Légèrement indolente, Julia Ducournau impose d’emblée le respect par sa présence, malgré son jeune âge (32 ans), révélant aussitôt un caractère de fer et une intelligence tout terrain.
Il n'y a pas à dire, c'est une sacrée réalisatrice qui a bien fait comprendre au petit monde du cinéma francophone qu'elle n'était pas là pour rigoler. Grave est un film sur le cannibalisme, un peu gore. Et il suffit de regarder la liste historique des films sur le sujet pour se rendre compte que les pépites ne s'y pressent pas au portillon. S'il n'est pas question ici de chef-d'œuvre, il s'agit bien d'un grand film. Julia Ducournau prend des risques et respecte ses engagements en vous prenant aux tripes «grave».
À Cannes, puis dans d'autres festivals, la jeune femme a marqué les esprits par sa présence et son talent. Sortant de la prestigieuse école La Fémis à Paris, elle avait déjà fait mouche il y a cinq ans avec un court-métrage intitulé Junior et plus récemment avec un téléfilm, Mange, dans lequel une ex-obèse veut se venger d'un comparse de classe lui ayant pourri la vie.
Tripant!
Encore une fois, avec Grave, la cinéaste traite du corps, de sa capacité à manger (de tout) et de se métamorphoser. On y suit la transformation de Justine, jeune étudiante dans une faculté de médecine vétérinaire où elle retrouve sa grande sœur. De végétarienne, elle passe à cannibale. Il semblerait qu'il s'agisse dans sa famille d'un trait atavique et il lui faut désormais accepter, ou non, cette particularité.
Nous pourrions vous mettre en garde comme d'autres amis, bien attentionnés, l'ont fait pour nous: «J'espère que tu n'as rien mangé. Accroche-toi ». Pourtant, si ce film d'auteur est du genre trash, la mise en scène comme le scénario sont sublimement maîtrisés et tout juste dosés pour que le tout soit supportable. C'est habilement dit, d'un rythme extrêmement efficace et, surtout, novateur.
Car Julia Ducournau ne suit les règles d'aucun genre finalement et impose un univers qui lui est propre. Gore, le film n'est pas glauque, il est même coloré et plutôt rock. Habillé d'une BO énergique et d'une lumière envoûtante, Grave saute à pieds joints sur des charbons ardents sans se brûler grâce notamment à une part importante d'humour cathartique qui permet de se protéger des horreurs qui nous sont montrées. Car au-delà du heurt de certaines scènes crues, il y a quelque chose de plus intime. Il nous semble voir dans cette métamorphose féroce une métaphore moderne sur la famille et ce qu'elle nous inculque, sur le passage à l'âge adulte, la connaissance de soi et notamment sur l'identité sexuelle.
C’est un récit d’initiation actuel et implacable, une découverte du corps dans tout le désir de sa chair.
Film d’horreur, drame et comédie de Julia Ducournau. Avec Garance Marillier, Ella Rump et Rabah Naït Oufella. Durée: 1 h 38.