Ô rage, ô des espoirs
Ce que ça raconte
Publié le 01-03-2017 à 05h00
Fin des années 90. Ben, jeune adulte plein de vie, est victime d’un grave accident qui le laisse paralysé. À l’hôpital où il est évacué, le diagnostic est implacable: il est désormais «tétra». Pour tétraplégique, dans le jargon de l’endroit. Handicapé sous le nombril (et même davantage, dans un premier temps), il va découvrir, dans le centre de rééducation spécialisé où il est rapidement transféré, le monde «merveilleux» du handicap, entre «tétras», «paras» et autres «traumas». Se lier d’amitié avec d’autres accidentés de la vie, aussi. Et surtout, réapprendre à vivre et à aimer avec des espoirs adaptés…
Ce qu’on en pense
Que l'on aime ou non le slam, que l'on goûte ou pas à la prose très imagée de Grand Corps Malade, ou se laisse bercer par sa voix grave et monocorde, difficile de ne pas rester admiratif devant l'incroyable parcours de ce jeune homme durement frappé par le destin lorsqu'il sortit paralysé d'un plongeon dans une piscine pas assez remplie, lors d'une colonie de vacances. Et devenu, 20 ans plus tard (c'était en 1997), l'une des têtes de gondole de la chanson française. Un destin fait de courage et de persévérance qu'il avait déjà couché dans un livre, une biographie intitulée Patients qu'il adapte aujourd'hui au cinéma dans un premier long-métrage coréalisé avec Mehdi Idir, son ami et le réalisateur de la plupart de ses clips.
Soyons francs: un slameur qui prend la caméra pour se raconter, voilà qui sentait la fausse bonne idée à des kilomètres à la ronde. Le machin chanté et bourré de symboles, a priori imbuvable. La surprise est pourtant totale: Patients est un vrai film de cinéma. Le héros, d'ailleurs, ne se prénomme pas Fabien, le vrai prénom de Grand Corps Malade, mais Ben. Comme pour mieux écarter toute assimilation.
À aucun moment, non plus, il n'est question de slam durant les près de deux heures que dure le film. L'essentiel est ailleurs: dans la capacité de mobilisation de ces corps brisés, de ces hommes et femmes à surmonter des handicaps lourds pour croire encore en un avenir. Nourrir un Espoir adapté, comme le déclame Grand Corps Malade dans le générique de fin, seule entorse chantée au canevas imposé.
Des espoirs, donc, pas mal de désespoir aussi: cette plongée dans un monde méconnu, où l’on reconnaît Yannick Renier, très bon dans le rôle d’un kiné, n’est pourtant pas uniquement tournée vers le pathos: le centre de rééducation où sont cantonnés ces héros en reconstruction – qui est aussi celui dans lequel Grand Corps Malade a effectué sa longue revalidation – se révèle même un lieu de vie étonnant, où le rire a toute sa place, et doit autant à la capacité d’autodérision de ses pensionnaires qu’à la singularité du corps médical. Touchant, drôle, bien filmé: que demander de plus ?
La scène qui touche
La première apparition de Jean-Marie, aide-soignant haut en couleur, dans la chambre de Ben. On compatit. Et on rit, aussi.
La scène qui tache
«Il est à qui, ce tétra?» À peine arrivé à l'hôpital puis parqué dans une chambre de transit, Ben se voit asséner, par le médecin chargé de l'examiner, ces mots durs et déshumanisants: «Et ces mots, ce sont exactement ceux que j'ai moi-même entendus», grimaçait Grand Corps Malade lors de la promotion de son film, lors du dernier Festival du Film d'Amour de Mons.
Drame de Mehdi Idir & Grand Corps Malade. Avec Pablo Pauly, Yannick Renier, Soufiane Guerrab, Moussa Mansaly, Nailia Harzoune & Franck Falise.