LA LA LAND | La vie, c’est moins désespérant en chantant
Damien Chazelle a-t-il réalisé la meilleure comédie musicale de tous les temps? On n’est pas loin de le penser. Le triomphe rencontré par «La La Land» est, dans tous les cas, amplement mérité.
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/AYSFUQVV7BCXXA6XX7DOU3CHZY.jpg)
Publié le 24-01-2017 à 18h04
Chaque spectateur connaît ce sentiment: celui d’avoir été dupé sur la marchandise, un film qu’on lui avait unanimement présenté comme un chef-d’œuvre, dont il était pourtant ressorti atrocement déçu. Et à mille lieues de comprendre les louanges accordées.
Pourtant, ne craignez rien à l'heure d'enfin découvrir le La La Land de Damien Chazelle: multirécompensé lors des Golden Globes, multinominé aux prochains oscars (voir page 15), encensé de toutes parts, il mérite l'époustouflante réputation qui précède sa sortie. Et constitue probablement la meilleure comédie musicale de l'histoire du cinéma. Rien que ça.
Un réalisateur de 32 ans
La quadrature du cercle vaut aussi pour le critique: comment résumer, sans lui faire injure, un bijou comme celui-là? On pourrait vous dire qu’il se déroule dans un Los Angeles contemporain où un homme et une femme en quête d’avenir – mais surtout d’identité – cherchent à percer, l’un (Sebastian) dans le milieu du jazz, l’autre (Mia) dans l’univers toujours plus impitoyable du cinéma. Que lui est un doux rêveur, teigneux et incapable de concessions – ou si peu – quand il s’agit de son art. Qu’elle, plus pragmatique, candide aussi, doute constamment, mais avance quand même malgré les castings ratés, son rêve de liberté en tête. Que ces deux anges vont s’aimer, follement. Réussir, parfois. Chuter, aussi. Se relever. Chanter. Et danser.
Mais ce ne sera pas assez pour rendre toute la pétillance de l'ouvrage. Ou hommage au talent de Damien Chazelle. En deux films, cet Américain d'à peine 32 ans a déjà affirmé une identité folle. Et un sujet qui l'obsède: la musique, de préférence le jazz. Son Whiplash, récit initiatique, celui d'un jeune batteur sous la coupe d'un professeur tyrannique, fut une claque comme il en existe peu. Son La La Land place probablement la barre plus haut encore. Et prouve que l'homme n'a peur de rien. Surtout pas de briser les règles.
À commencer, bien sûr, par celle qui veut que la comédie musicale soit un machin du passé, réservé aux has been sans inspiration. Voire, virons misogynes un instant (après tout, on est dans l'Amérique de Trump, désormais), un «truc pour les gonzesses». Dès la première scène du film, Chazelle fonce pourtant tête baissée et vient flanquer un coup de balai dans toutes ces idées tristement reçues: c'est enlevé, coloré, chorégraphié à l'extrême. Et formidablement entraînant, que l'on ait aimé ou pas Singin'in the rain, Les parapluies de Cherbourg, Grease ou Dirty Dancing, pour ne prendre que les comédies musicales les plus connues que vient aujourd'hui ringardiser le jeune cinéaste.
Techniquement, le reste sera à l'avenant. Il serait injuste, pourtant, de limiter La La Land à son genre, et d'en faire un simple objet vintage venu rappeler une époque révolue, comme a pu l'être un The Artist. Car La La Land est aussi un film éminemment contemporain. Qui dit des choses très actuelles au spectateur. Qui, derrière la romance, dont il évite soigneusement les poncifs, ne cède pas aux sirènes si faciles du rêve américain, celui qui veut qu'il suffise d'y croire et de travailler pour toucher son Graal.
Déjà un classique
Chazelle ne fait pas partie de la génération Y pour rien, assurément. C’est peut-être de là qu’il tire son audace. On ne peut, dans tous les cas, s’empêcher de voir une analogie dans l’approche qu’il fait ici du jazz de la grande époque et le genre, jusqu’alors en désuétude, d’un film appelé, à coup sûr, à devenir un immense classique.
Et puis, bien sûr, il y a Emma Stone et ses grands yeux d’héroïne de mangas. Ryan Gosling et son charisme ébouriffant. Un couple, en somme, venu nous rappeler avec classe et glamour que la vie, c’est beaucoup plus marrant en chantant.
Comédie musicale de Damien Chazelle. Avec Emma Stone et Ryan Gosling. Durée: 2 h 08.