Joachim Lafosse, la dictature de l’émotion
La fin ne justifie pas toujours les moyens. C’est ce que tente de démontrer Joachim Lafosse dans «Les chevaliers blancs», une adaptation (décevante) de l’affaire de l’Arche de Zoé.
Publié le 26-01-2016 à 08h36

En 2007, l’ONG
L’Arche de Zoé
tente d’enlever 103 enfants tchadiens supposés orphelins pour les remettre à des familles adoptantes françaises. Une affaire qui fera grand bruit, du moins en France. Et que Joachim Lafosse porte aujourd’hui sur grand écran dans
Les chevaliers blancs
, son sixième long-métrage.
Jacques Arnault est ici joué par Vincent Lindon. Il a un mois pour «trouver» 300 enfants. Pour réussir, il doit persuader ses interlocuteurs africains qu'il emmène les enfants dans un orphelinat sur place. Lafosse reconstitue cette affaire mais adopte une position assez vague sur le sujet. Ce qui peut provoquer une frustration auprès des spectateurs. Car, comme il le dit lui-même, «On s'en fout de mon point de vue! Mon film n'est jamais la vérité. Je ne fais que poser des questions. » Alors, on lui en a posé deux ou trois en plus.
Joachim Lafosse, pourquoi vous inspirer de ce fait divers qui n’a pas durablement marqué l’opinion publique, en Belgique du moins?
J’ai voulu que le spectateur vive le film comme les Africains qui ont vu débarquer cette ONG. Ils ne savaient rien. C’est un film d’aventure, un thriller psychologique, qui est aussi éminemment politique.
Quel est votre avis sur cette affaire de l’Arche de Zoé?
Je pense qu’on n’a pas le droit de mentir aux gens, même si on croit que c’est dans leur intérêt. Si parce qu’un pays interdit l’adoption internationale, on décide de manipuler les gens de la région, c’est une erreur et ça mène au fiasco. Le personnage ne fait pas ça par enrichissement personnel. Il le fait pour sa gloire. Il sait que des familles adoptantes sont dans le désespoir et au nom de cette émotion, il ment. Il n’accepte pas les critiques de ses collègues. C’est là que les questions de morale au sein d’un groupe me passionnent le plus.
Au fur et à mesure, Jacques devient manipulateur et amoral. À la base, il avait pourtant de bonnes intentions.
L’enfer est pavé de bonnes intentions. Tant de gens veulent faire le bien… C’est pourquoi c’est plus intéressant d’interroger ces bonnes intentions plutôt que les mauvaises, auxquelles on ne donne jamais forme.
Ça résonne avec l’actualité, cet emballement émotionnel face au manque d’engagement politique…
Évidemment! La question des migrants existe depuis des années et soudain on s’est ému à la vue d’un garçon mort sur une plage. Fondamentalement, le centre d’accueil improvisé au centre de Bruxelles ne sert à rien mais au nom de l’émotion on se met à faire des choses folles. Aujourd’hui, il y a un désinvestissement dans le politique. Les gens n’ont plus de patience. Alors, les propos simplistes et séduisants débarquent. Choisir d’adopter un enfant ramené par Jacques, c’est comme voter Marine Le Pen. Tous deux proposent des solutions simplistes face à un problème complexe.
D’où vous vient cette fascination pour la manipulation?
Ce qui m’intéresse c’est quand un personnage ramène tout à soi en oubliant qu’il y a des autres. C’est la fin de l’altérité. Cette obsession, avec ce film, atteint un point culminant, mais je suis en train de faire un autre film où j’ai trouvé encore plus fort!
«Les chevaliers blancs», thriller psychologique de Joachim Lafosse avec Vincent Lindon, Louise Bourgoin et Reda Kateb. Durée 1h47. Sortie le 27 janvier.