Jacques Weber fend la carapace du comédien
"On ne dit pas jamais assez aux gens qu’on les aime" constate le comédien en titre de son livre où il se souvient de tous ceux qu’il a croisés.
- Publié le 10-08-2023 à 06h00
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Robert Hossein, qui vous a mis en scène à de nombreuses reprises, vous qualifie de "timide". Ce n’est pourtant pas l’image que vous donnez.
Les timides ne donnent pas forcément l’impression de l’être parce qu’ils sont comédiens. Jacques Villeret était d’une timidité maladive, on ne l’entendait presque pas. Des gens comme Depardieu, Nathalie Baye ou Isabelle Adjani, que j’ai très bien connus, avec qui j’ai travaillé, jamais je ne penserais à les appeler, par exemple, car ils m’impressionnent trop et j’aurais peur de les déranger.
C’est pour vaincre cette timidité que vous avez fait du théâtre ?
Il faudrait demander à des psys. Tout ce que je sais, c’est que je suis sûr de ne pas m’être trompé, c’était mon métier, ma voie. Au théâtre, on se retranche derrière un personnage. Il est plus facile de dire certaines choses lorsqu’on joue, ou lorsqu’on écrit, que dans la vie. Comme dire "Je t’aime". Confesser tel ou tel type d’émotions à quelqu’un, ce n’est pas simple. J’ai du mal à les exprimer.
Vous écrivez avoir eu le tract lorsqu’Emmanuelle Bercot vous a proposé le rôle du chef d’entreprise au bout du rouleau dans la série "En thérapie" diffusée sur Arte…
Plus on avance dans ce métier, plus on est conscient de ses difficultés et plus on a envie de parfaire, de progresser. J’étais très impressionné de jouer dans cette série très attendue. J’ai d’ailleurs été surpris qu’ils pensent à moi de façon aussi certaine, car je ne suis pas forcément dans les circuits de la télévision. Cela a été une expérience merveilleuse.
Au théâtre, vous avez joué les plus grands auteurs. Comment choisissez-vous vos rôles ?
J’ai toujours choisi du bon théâtre, avec de bonnes personnes et de bonnes pièces, jamais par souci éthique ou d’engagement. Même s’il est bien évident que si on me proposait l’apologie d’Hitler, je dirais non. Mais je n’ai pas d’a priori engagés. Et si j’aime énormément les classiques – pour que l’arbre bourgeonne, il faut des racines – je préfère de plus en plus aller vers un théâtre contemporain.
Il y a eu des moments plus difficiles dans votre parcours ?
À une époque, j’ai été alcoolique, je rentrais en scène en ayant beaucoup bu. Ce qui est terrible avec l’alcool, c’est qu’on se trouve formidable. On n’a plus peur de rien. Il y a toujours des recoins obscurs dans un individu où ça crisse: des trucs d’enfance, des regrets, des amertumes, des choses restées en route. J’ai été un très mauvais élève, très complexé. On me prenait pour un crétin, cela m’a marqué. D’autant plus que j’étais dans une famille avec des frères et sœurs très brillants.
Vous avez aussi dirigé deux théâtres, à Lyon puis à Nice.
Je me demande encore pourquoi j’ai accepté. Autour de moi, on s’étonnait, on me demandait si j’étais sûr d’être fait pour cela. Ce n’était pas si évident et je ne suis pas certain d’avoir les bonnes réponses. Ce que je sais, c’est que je perpétuais dans ces théâtres une envie fulgurante d’ouvrir, j’étais très généreux dans ma façon de partager les choses. J’avais envie de fédérer des envies, de créer un lieu de générosité et de partage. Je suis quelqu’un d’ouvert. Je ne suis pas un emmerdeur, on est déjà tellement privilégié. Mais si je n’aime pas les gens, ça se voit très vite.
Jacques Weber, "On ne dit jamais assez aux gens qu’on les aime", L’Observatoire, 255 p.