Ulysse Nobody, comme un air d’Éric Zemmour...
Gérard Mordillat a imaginé un acteur raté devenu tête de gondole d’un parti d’extrême droite. Et à quelques semaines des présidentielles françaises, ça n’a bien sûr rien d’innocent…
Publié le 10-02-2022 à 08h00
Dieudonné, Robert Ménard, Gilbert Collard et bien sûr, plus près de nous, Éric Zemmour: les exemples de personnalités publiques passées, souvent à la surprise générale, du côté de la droite extrême, ne manquent pas.
Avec Ulysse Nobody, l'écrivain Gérard Mordillat, qui s'était déjà aventuré sur le terrain de la bande dessinée voici quelques mois avec Ma part des ténèbres, récidive et analyse ce qu'il considère lui-même comme un "processus d'enrégimentement". À la différence près que son héros est un zéro. Un acteur raté, viré de la seule radio qui prenait encore ses chroniques, et à deux doigts de basculer dans la précarité: "Nobody, c'est n'importe qui: c'est vous, c'est moi, ce sont tous ces gens susceptibles de basculer quand ils sont déclassés, mal compris, chômeurs ou précaires", estime Gérard Mordillat.
Le fascisme, c’est du fascisme, et il est important de dire à ceux qui suivent ce chemin-là comment ils s’appellent
Pour Ulysse Nobody, la bascule s'opère à la faveur d'un meeting du Parti Fasciste Français, où il avait été invité à s'exprimer, et auquel il adhérera ensuite, jusqu'à faire campagne: "Pour la première fois depuis longtemps, il est de nouveau acteur, insiste-t-il. Après avoir cherché du travail partout, et en vain, il est enfin devant les projecteurs, et un public. Mais il ne se rend pas compte qu'il joue un rôle écrit par d'autres." La chute n'en sera que plus rude pour l'ami Ulysse, dont le prénom n'a pas été choisi au hasard, bien entendu: "Il fait un long voyage au pays de l'illusion. Et l'illusion, c'est de croire qu'il y a quelque chose à attendre des propositions de la droite extrême."
L'ouvrage, qui évite de juger son principal protagoniste, ne va par quatre chemins pour juger ces idéologies puisqu'il réhabilite rien de moins que le fascisme, là où la droite extrême du XXIe siècle préfère, à ce vocabulaire chargé, une novlangue plus acceptable. Mordillat, lui, assume: "On retrouve, dans les programmes et les discours de la droite extrême actuelle toutes les caractéristiques du fascisme: l'éloge du chef, l'ostracisation des étrangers, l'antisyndicalisme absolu et le nationalisme foncier. Quatre éléments qui se trouvaient aussi dans les discours de… Mussolini entre 1928 et 1929: on voit donc que ces idées ont une certaine permanence, et il faut arrêter de se cacher derrière son petit doigt, qu'on ne peut plus parler de ''fascisme'', mais de ''société autoritaire'' ou de ''droite dure''. Non, c'est du fascisme, et je pense qu'il est important de dire à ceux qui suivent ce chemin-là comment ils s'appellent."
Zemmour, c’est le patron du PFF
À quelques semaines des élections présidentielles françaises, l'exercice critique, brillant, se positionne à contre-courant des idées d'un Zemmour, ici clairement dans le viseur de l'auteur: "Bien entendu, sourit Gérard Mordillat. Lui, il se voit comme le chef du Parti Fasciste Français. Il se met en scène, il adore ça, et il y a parmi ses supporters beaucoup de Nobody venus crier son nom et l'applaudir en pensant que grâce à lui, l'herbe sera plus verte et le ciel plus bleu. Et c'est, je le répète, une grande illusion, et rien d'autre."
Futuropolis Mordillat/Gnaedig, 144 p., 20€.