"Melvile", là où les destins se croisent
Troisième et dernier (?) volet d’une saga poisseuse, "L’histoire de Ruth Jacobs" confirme les exceptionnels talents de conteur de Romain Renard.
Publié le 27-01-2022 à 08h00
C'est une œuvre tentaculaire, entamée en 2013 avec L'histoire de Samuel Beauclair. Romain Renard était alors un jeune père en devenir et interrogeait, à travers ce personnage, un romancier désabusé incapable d'encore pondre une ligne, les interrogations que faisait naître en lui cette paternité.
Le héros principal, pourtant, était ailleurs. Il s’agissait de Melvile, la bourgade rurale où avait choisi de s’installer Samuel. Un endroit poisseux et fascinant, avec ses grandes forêts sombres qui font vaguement penser à l’Amérique du Nord. En fait un lieu imaginaire où Romain Renard développe, depuis lors, une véritable saga. À l’histoire de Samuel Beauclair a ainsi succédé, en 2016, celle de Saul Miller, un quinquagénaire à la retraite qui y transmettra sa passion des étoiles à la petite Mia (après la paternité, la transmission: logique). Et voici que vient de paraître un ultime (?) volume consacré, lui, à celle de Ruth Jacob, une adolescente disparue trop tôt et dans des circonstances troubles.
Un point semble-t-il final, pour un récit de plus de 400 pages (!) dans lequel Paul Rivest, un quadra qui jadis passait ses étés sur place, y revient le temps de quelques jours afin d’expédier l’héritage de feu sa grand-mère avant que la ville, condamnée, ne soit engloutie par les flots du barrage voisin en construction. Une formalité douloureuse pour un homme qui vécut, là-bas, une passion puis un drame intime dont il ne s’est jamais véritablement remis…
La grande force de Melvile est une forme de liberté laissée au lecteur puisque chaque tome peut être lu indépendamment des autres, les faits se déroulant toujours à la même époque et s'articulant autour d'un incendie de sinistre mémoire, qui aura durablement marqué la région et ses habitants. Si bien qu'il n'est pas rare de voir certains personnages se croiser, ajoutant des strates de compréhension aux intrigues développées par Romain Renard.
Plus aboutie encore que ses prédécesseurs, L'histoire de Ruth Jacobs voit cet auteur protéiforme (et fils de Claude Renard, figure de proue du renouveau de la BD belge de la fin des années 70) atteindre une forme d'apogée artistique: tantôt pictural, tantôt photographique, son style joue avec les couleurs pour nous promener du passé (en mode sépia) au présent (bleuté). Et nous imprégner, chemin faisant, d'une atmosphère envoûtante qui n'a rien à envier à l'univers – au hasard – d'un David Lynch.
Une expansion numérique
Une œuvre déjà majeure qui s'accompagne, cerise sur le gâteau, d'un quatrième ouvrage – Les chroniques de Melvile – et de son expansion numérique, sur laquelle le lecteur pourra découvrir des nouvelles inédites narrant, elles aussi, l'histoire de cette drôle de ville, des créations radiophoniques et des illustrations inédites permettant de relire autrement les histoires de Samuel, Saul, Ruth et les autres…
«L’histoire de Ruth Jacob», Renard, Le Lombard, 400 p., 29€.
«Chroniques de Melvile», Renard, Le Lombard, 240 p., 22.50€.