Maîtresse de son destin
"Kristina, la reine garçon", adaptation d’une pièce de théâtre, révèle la personnalité marginale de celle qui fut brièvement… roi de Suède, au XVIIe siècle.
Publié le 20-01-2022 à 08h00
Catel et Jean-Louis Bocquet se sont fait une spécialité de croquer, dans d’épaisses biographies, la vie de femmes qui ont compté, à des époques où la chose n’avait rien d’évidente.
Assurément, Christine de Suède méritait de rejoindre, à ce petit "palmarès", Joséphine Baker, Olympe de Gouges et consorts. Sauf que son portrait est, cette fois, l'œuvre d'un autre duo talentueux, celui formé par Jean-Luc Cornette et Flore Balthazar. Ces deux-là avaient déjà brossé, ensemble, le portrait de Frida Kahlo. Et s'emparent donc, avec Kristina, la reine garçon, du destin de cette reine étonnante.
Reine ou plutôt… Roi. Car quand Christine – Kristina pour les Suédois – accède au trône, en 1650, elle est la première femme couronnée si bien que son titre officiel renseignait bien "Roi de Suède". "Malgré cela, souligne Flore Balthazar, chargée du dessin sur cet ouvrage, la Suède était, alors, un pays déjà assez féministe, où les femmes ont appris à lire et à écrire avant les hommes. Ce n'est qu'ensuite, jusqu'à l'apogée du XIXe siècle, que les choses se sont rigidifiées, et que le patriarcat a tout emporté sur son passage."
Disciple de Descartes
La vie de Kristina n’en est pas moins étonnante tant la jeune femme se montrait en avance sur son temps par bien des aspects: célibataire au moment de son sacre, elle n’aura de cesse de repousser tous les projets de mariage (et notamment les avances de son cousin Charles-Gustave), cependant qu’elle portait volontiers des vêtements masculins et affichait ostensiblement son attirance pour les femmes, à l’instar de la comtesse Ebba Sparre, qui fut sa seconde dame de compagnie en plus de son amante.
"Ce qui est fascinant chez elle, poursuit la dessinatrice, c'est qu'elle parvenait à mener sa barque en étant tantôt dans une position de dominée, lorsqu'elle était confrontée à ces messieurs de la cour, tantôt dans une position de pouvoir qui lui permettait de cette fois se comporter en dominante, à l'instar de sa relation avec ses suivantes."
Autre particularité de son règne, pourtant court (factuellement, il dura moins de… quatre ans): Kristina reçut, à cette période, un Descartes en fin de vie, avec qui elle eut de longues conversations au sujet de la vie, de la mort, et bien sûr du sentiment amoureux. Bref, cette drôle de reine était mue par une véritable réflexion sur l’existence.
Féministe… pour elle-même
Pas manichéen pour un sou, le récit charpenté par Jean-Luc Cornette au départ d'une pièce de théâtre du dramaturge québécois Michel Marc Bouchard, montre toutefois que Kristina n'était pas forcément portée par l'intérêt général. Ainsi, quand elle abdiqua, séduite par les sirènes du Vatican, qui la priait ardemment de se convertir au catholicisme, elle emporta à Rome… un tiers des possessions de l'État, et parmi elles nombre des œuvres d'art sur lesquelles elle avait fait main basse durant son règne. " Si elle était féministe, sourit Flore Balthazar, c'était d'abord pour elle-même. Et il est clair que sa conversion au catholicisme était d'abord un choix politique."
Futuropolis, 96 p., 16€.