La Dame Blanche - Des vies qui se poursuivent
Avec poésie, Quentin Zuttion ose un regard sur la fin de vie et sur ce qui se passe réellement dans les maisons de retraite.
Publié le 12-01-2022 à 19h00
Cachez ces vieux que je ne saurais voir? Pas pour Quentin Zuttion. Avec La Dame Blanche, son nouveau roman graphique, ce jeune auteur français ouvre au contraire les portes d'une maison de retraite pour nous en faire partager les moments de vie et, fatalement, de mort.
"Ce sont des endroits qui nous font peur, reconnaît-il. Qu'on associe tout de suite à la fin, alors que quand y entre, on se rend compte que ça peut aussi être un truc joyeux, le prolongement d'une vie au cours duquel des gens se retrouvent et se rencontrent, sont heureux de vivre ensemble. Le départ de la maison est parfois un vrai choc mais, après coup, beaucoup se disent que, finalement, ce n'est pas plus mal ici…"
Quentin Zuttion sait de quoi il parle puisqu'il a travaillé, plus jeune, dans une maison de retraite. Il a conservé, de cette époque, l'envie de " dessiner des corps vieux, abîmés, de leur rendre une part de sensualité", ce qu'il fait de façon sublime. Mais aussi de parler d'une microsociété plus complexe qu'il n'y paraît, composée, pour l'essentiel, des résidents et du personnel, soignant notamment.
Le placement dans un home est souvent plus difficile pour les familles que pour les résidents
Ce sont d’ailleurs deux infirmières de la maison de retraire (fictive) "Les Coquelicots", Estelle et Sonia, qui constituent le fil rouge du récit, et permettent de découvrir les destins de ses pensionnaires du moment. Il y a là la mélancolique Sophie, qui vit dans son passé et à travers un amour disparu, le plus terrien Germano, toute sa tête mais les jambes qui défaillent à mesure que sa famille s’en éloigne, et enfin Madame Thomas, une ouvrière qui, poussée dans le dos par Alzheimer, se réinvente, à son déménagement, une vie d’ambassadrice.
Au-delà des affres de ces métiers du soin, le dessinateur explore surtout la confusion qui peut survenir, dans ces endroits, entre réalité et fantastique. C'est le cas du personnel, à l'instar d'une Estelle qui ne parvient pas toujours à préserver une frontière claire entre son travail et ses affects. Mais aussi, bien sûr, des pensionnaires: "Le placement dans un home est souvent plus difficile pour les familles que pour les résidents. Parce qu'il y a une part de culpabilité. Parce que leur vraie famille, ça devient, peu à peu, ce nouveau monde-là. Et aussi parce que la maladie les amène parfois à vivre dans une nouvelle réalité, qui leur échappe. C'est là que se pose la question du réel et du fantastique: qu'est-ce qui est, à ce moment-là, le plus réel pour ces personnes âgées? Est-ce que, finalement, ça ne serait pas leurs ''délires''? "
Le Lombard, 208 p., 22.50€.