Alice Guy, pionnière et visionnaire
Le duo Catel-Bocquet continue d’exhumer les grandes figures féminines du passé. Et se penche, cette fois, sur la première réalisatrice de l’Histoire. Une artiste (très) en avance sur son temps.
Publié le 07-10-2021 à 07h00
Depuis 2007, Catel et José-Louis Bocquet se sont fait une spécialité de raconter, dans d’épaisses biographies, les destins de figures féminines importantes, et pourtant oubliées, de l’Histoire. Place, cette fois, à Alice Guy.
Alice qui? La question n’est pas sotte: jusqu’à récemment, son nom n’évoquait pas grand-chose, pas même pour les historiens du 7e art. Alice Guy est pourtant la toute première réalisatrice de l’Histoire du cinéma, dont elle a énormément influencé le développement, tant industriel qu’artistique, au fil d’une carrière menée, tantôt en France, tantôt aux États-Unis.
Il aura fallu toute l'opiniâtreté de Francis Lacassin, un écrivain français disparu en 2008, pour lui rendre sa véritable place par le biais d'une biographie publiée du début des années 70. «C'est lui, se souvient José-Louis Bocquet, qui nous a transmis tous les documents que lui avait remis Alice Guy elle-même.»
Cette dernière avait conservé moult documents photographiques et extraits de presse de ce qui est considéré, aujourd'hui, comme la préhistoire du cinéma. Le premier film crédité à Alice Guy – La fée aux choux – date ainsi de 1896. Au total, elle tournera près de… 500 films, à une époque où le cinéma n'était pas encore considéré comme un art. «Tous les hommes impliqués dans son développement, poursuit le scénariste, étaient surtout intéressés par la technologie, le progrès, voire l'argent. Pas par le fait de raconter des histoires.»
Si Alice Guy a le droit de réaliser, c’est parce qu’à l’époque, ça… n’intéresse personne d’autre.
Alice Guy, qui cofonda la société Gaumont (!) et côtoiera des personnalités clés de son époque, comme Gustave Eiffel, Georges Méliès, les frères Lumière ou Charlie Chaplin, le percevra très vite, elle, comme un moyen d'expression: «Au début, le cinéma, c'est du flux pour les fêtes foraines. Mais qui va le produire? Alice arrive au bon moment, au bon endroit. Si elle a le droit de réaliser, c'est parce qu'à l'époque, ça… n'intéresse personne d'autre.»
Le plus incroyable fut qu'elle aborda, dans plusieurs de ses films, des thématiques extrêmement visionnaires, comme les inégalités entre hommes et femmes ou l'avortement. Elle fera même tourner, en 1912, des acteurs afro-américains. En pleine ségrégation! «C'est là, soutient une Catel admirative, que ce n'est pas seulement la première femme réalisatrice de l'Histoire. Mais une réalisatrice singulière, avec un vrai propos, une grammaire et une identité qui lui étaient propres.»
Catel/Bocquet, Casterman, 400 p. n/b, 24,95€.