Le jeudi, c’est le jour de notre sélection bande dessinée. Avec, cette fois, une femme dans la peau d’un homme, un trail de 4 000 bornes et le tout dernier «Femmes en Blanc». Entre autres petits plaisirs. Bonnes lectures.
Un Irlandais bercé pendant toute sa jeunesse du rêve américain, se voit pour la énième fois expulsé des USA pour non-renouvellement de sa carte de séjour.
Il va s’imposer, en guise d’exorcisme, le Pacific Crest Trail, un trail de 4 240 km qui coure de la frontière mexicaine à la frontière canadienne, du désert à la glace en traversant 25 parc nationaux.
La manière la plus radicale de se confronter à soi et à l’Amérique loin de tous les fantasmes et les rêves d’enfance.
Une sorte d’Into the Wild «secure», mais qui n’en égratigne pas moins tous les paradoxes et les zones d’ombre de la société américaine contemporaine avant l’élection de Trump.
Notre avis en un mot: ÉPATANT
Le jeune dessinateur irlandais Luke Healy confronte son Amérique fantasmée à la réalité en se lançant dans une performance physique radicale, qui le changera autant physiquement que moralement.
Un portrait de lui-même autant que de l’Amérique elle-même. Et une bonne façon de démythifier le rêve made in US. Fameux.
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Casterman Luke Healy, 336 p., 23€.
Nous sommes en 2082, près de Jupiter. Les vaisseaux Achlys et Hybris, commandés respectivement par Pavel Vonichev et Sylan Kassidy, continuent leur mission:
pour l’Hybris, il s’agit d’assembler les éléments qui formeront la future base sur Callisto; les membres de l’Achlys, eux, récoltent des minerais sur (617) Patrocle dans des conditions extrêmes, les perturbations magnétiques se faisant plus intenses.
Mais soudain, alors qu’un étrange nuage bleu se forme au voisinage de l’astéroïde, une navette incontrôlable vient se crasher sur le vaisseau, endommageant gravement les déflecteurs censés protéger l’équipage de l’Achlys de la magnétosphère de Jupiter.
Notre avis en un mot: LIMPIDE
Drakoo a récupéré les droits d’une série initialement publiée chez feu Sandawe. Et a rudement bien fait, car voici de la SF rondement menée, complexe et limpide à la fois, qui ne verse jamais dans la facilité.
Drakoo «Ceux qui partent», Pelaez/Laval NG, 92 p., 19.90€.
Quand le drap housse ne fait clairement pas la taille de ton matelas, quand l’escalator et sa rampe ne vont pas à la même vitesse, quand les gens coupent le fromage en creux pour ne pas avoir la croûte, quand le panneau «stop pub» de ta boîte aux lettres ne sert à rien, quand tu poses ton coude sur une miette de pain, quand tu likes par erreur sur Instagram…
Autant de désagréments qu’on a tous vécus, jamais oubliés et qu’on prend plaisir à voir si bien partagés.
Notre avis en un mot: PARLANT
Kek a compilé les tracas du quotidien. Et on se retrouve dans pas mal de ses réflexions.
Alors, forcément, c’est drôle. Mais inégal. Mais drôle.
Delcourt Kek, 224 p., 1095€.
Chaque été, des enfants de toute la Russie viennent en séjour au camp Poutine.
Au programme, vie en groupe et activités militaires, dans le seul but de les entraîner à devenir de vrais défenseurs de la grande Russie contre ses ennemis de toutes parts: Européens, Tchétchènes, Ukrainiens, mais surtout les armées de Daesh.
Pour Katyusha, jeune fille un peu secrète, c’est le deuxième passage par le camp. Elle compte bien de nouveau gagner toutes les épreuves du concours pour remporter la rencontre en tête à tête avec Vladimir Poutine.
Notre avis en un mot: DA (DA)
Sorti de leur faux camp d’entraînement patriotique, nos jeunes héros rencontrent un drôle de gardien de cimetière et son ours. Avec eux, ils vont tenter de rejoindre et de participer à un concours dont l’enjeu serait, cette fois, une vraie rencontre avec le camarade Poutine.
Un joyeux bordel dans le cadre un peu déprimant de la Russie d’aujourd’hui. Une belle surprise. Camp Poutine, c’est notre dada.
Grand Angle Ducoudray/Anlor, 48 p., 14.90€.
Habitant sur les rives du fleuve Zambèze, Siku est une jeune fille comme les autres, à ceci près qu’elle semble dotée d’étranges pouvoirs qui la lient aux animaux de la région.
Elle est sans nouvelle de son père, depuis que celui-ci est parti travailler au grand barrage de Kariba, un chantier colossal qui recrute de la main-d’œuvre dans toute la région. Pour le retrouver, Siku décide de remonter les flots périlleux du Zambèze avec l’aide d’Amedeo, le fils de l’ingénieur en chef de Kariba
Leur voyage aux sources de ce fleuve légendaire la confrontera à des pirates, des capitalistes, des affabulateurs ou de sombres magiciens. Mais il va également mener Siku au plus près du secret enfoui de ses origines…
Notre avis en un mot: ENGAGÉ
Enfant trouvée, Kariba est devenue, à 11 ans, une jeune fille intrépide. Elle pourrait bien être, aussi, le centre d’une prophétie impliquant le fleuve Zambèze…
Un joli récit construit autour d’une légende sud-africaine, et pensé par le collectif «Blue Forest» pour, disent-ils, «sensibiliser les jeunes populations sur la construction du barrage éponyme et les conséquences du productivisme sur l’environnement et les cultures locales». Rien que ça. Tout cela, néanmoins, se tient très bien.
Glénat Daniel & James Clarke, 232 p., 19.95€.
«Fais pas ci», «va pas là», «mets la table», «mange sans les doigts», «va te laver», «marche droit»…
La liste des règles créées par les adultes est aussi longue qu’inutile. Kev en est persuadé et c’est pour ça qu’il faut tout changer! Selon lui, le constat est sans appel: le monde des vieux, il craint, alors pourquoi les écouter???
Après tout, il a déjà 10 ans, une imagination sans limite et bien trop peu de temps pour faire tout ce qu’il a à faire! Et ce ne sont pas sa mère, sa maîtresse ou son petit frère qui vont l’en empêcher!
Notre avis en un mot: PÉNIBLE
Kev est un cancre, et accumule les bêtises de son âge.
Ancrée dans les codes d’aujourd’hui, cette série humoristique en culottes trouées ressemble à s’y méprendre à du sous-Blagues de Toto. Pénible.
Le Lombard «La frisée de l’école», Chico/Studio Minte, 48 p., 9.95€.
1997, Chine. Kane est un hybride homme-triton. Retenu en captivité dans un centre de recherche où les tritons sont secrètement étudiés, il parvient à fuir.
Commence alors une course-poursuite haletante pour l’hybride qui tente d’échapper aux hommes de main lancés à ses trousses par le Centenaire des Carpates.
Notre avis en un mot: SOLIDE
Bec offre un rabais à ses fans avec un nouveau cycle, annoncé en deux volumes, qui se penche sur la vie de Kane, le père de Lou, la petite fille amphibie.
Dispensable? Un peu. Inintéressant? Du tout.
Les Humanoïdes Associés «Kane», Bec/Bufi, 56 p., 14.50€.
Rien ne va plus à l’hôpital et c’est à croire que Raoul Cauvin et Philippe Bercovici se sont donnés le mot pour achever patients et professionnels en tranches de rire toujours aussi drôles et caustiques.
Les gags de ce 42e tome s’enchaînent encore comme pour conjurer le mal dans la bonne humeur malgré les restructurations des services et les reconversions du personnel.
Quand certains ont déjà rejoint les services de psychiatrie, d’autres rêvent de prendre leur retraite…
Notre avis en un mot: FINAL
C’est bizarre que ça tombe l’année du Covid-19, mais Les femmes en blanc tirent leur révérence avec un dernier album qui, comble de l’histoire, ne parle jamais du coronavirus.
Mais reste digne du reste de la série.
Dupuis «La radio de la méduse», Cauvin/Bercovici, 48 p., 10.95€.
Dans l’Italie de la Renaissance, Bianca, demoiselle de bonne famille, est en âge de se marier. Ses parents lui trouvent un fiancé à leur goût: Giovanni, un riche marchand, jeune et plaisant. Le mariage semble devoir se dérouler sous les meilleurs auspices même si Bianca ne peut cacher sa déception de devoir épouser un homme dont elle ignore tout.
Mais c’était sans connaître le secret détenu et légué par les femmes de sa famille depuis des générations: une «peau d’homme»! En la revêtant, Bianca devient Lorenzo et bénéficie de tous les attributs d’un jeune homme à la beauté stupéfiante. Elle peut désormais visiter incognito le monde des hommes et apprendre à connaître son fiancé dans son milieu naturel. Mais dans sa peau d’homme, Bianca s’affranchit des limites imposées aux femmes et découvre l’amour et la sexualité.
La morale de la Renaissance agit alors en miroir de celle de notre siècle et pose plusieurs questions: pourquoi les femmes devraient-elles avoir une sexualité différente de celle des hommes? Pourquoi leur plaisir et leur liberté devraient-ils faire l’objet de mépris et de coercition? Comment enfin la morale peut-elle être l’instrument d’une domination à la fois sévère et inconsciente?
Notre avis en un mot: GÉNIAL
Obligée de se marier à un aristocrate qui préfère les garçons, Bianca enfile une peau d’homme et… séduit son futur mari.
Un conte qui parle d’amour (et de religion) avec mesure et crudité. Génial.
Glénat Hubert, Zanzim, 160 p., 27€.
Renée et John, la copie de la tablette du roi lettré Assurbanipal en poche, fuient l’Éthiopie pour rentrer en Angleterre.
Mais Gray et Frick s’interposent et les retiennent à Obock. Aidés en douce par Gisèle, la fille de Frick, ils reprennent la mer. Après maintes aventures périlleuses, ils seront sauvés par le gouvernement britannique.
Au fin fond du Proche-Orient, dans un palais fantastique, ils tenteront de traduire la tablette qui les mènera à Ninive…
Notre avis en un mot: GÉNÉREUX
Fantasmant les aventures archéologiques d’Agatha Christie, entre action et envolées romanesques, le duo Birmant/Oubrerie livre une histoire généreuse et sans temps mort.
Dargaud «Le piège de la Mer Rouge», Birmant/Oubrerie, 64 p., 15€
En 1965, une tragédie a lieu sur la plage de Roquebrune-Cap-Martin: un homme est retrouvé mort noyé en face de son domicile. Il s’agit du Corbusier, célèbre architecte et peintre français, propriétaire d’une somptueuse maison en bord de mer.
Cette demeure, c’est la villa E-1027, et contrairement à ce que tout le monde pense, elle a été créée par une femme: Eileen Gray.
Fille d’Irlandais, Eileen débarque à Londres pour apprendre les techniques de la laque. Bien décidée à tracer sa propre voie dans le milieu artistique, elle ouvre ensuite une galerie de décoration d’intérieur à Paris et fait la connaissance de Jean Badovici, un architecte passionné par le talent de la jeune femme.
À ses côtés, c’est toute la réflexion d’Eileen sur l’art et l’architecture qui se développe et prend lentement forme, pour aboutir à l’œuvre d’une vie: la villa E-1027. Mais lorsqu’on crée une œuvre aussi intime, il faut s’attendre à ce que certains ne puissent en saisir toute la complexité…
Notre avis en un mot: NÉBULEUX
Cette BD fait découvrir Eileen Gray, designer et architecte dans les années folles.
Intéressant… mais les flash-back ne rendent pas le sujet facile d’accès, et le dessin ne permet pas de saisir l’œuvre de Gray.
Dargaud Malterre-Barthes/Dzierzawska, 155 p., 19.99€.