Le précieux site web «Tartine et Boterham» se décline désormais en livre. 30 adresses de boulangeries artisanales bruxelloises y sont reprises. Dans l’atelier de Charli, on comprend l’exigence du métier et pourquoi un croissant n’est pas l’autre.
En entrant dans la seconde adresse de Charli rue Sainte-Catherine, vous enjambez un seuil vitré. Ce n’est pas qu’une coquetterie, mais «la preuve que tout est façonné et cuit ici, dans la cave». Les ateliers du seul artisan boulanger du Pentagone jouxtent en effet ses comptoirs. Ce n’est pas une évidence à Bruxelles. À ce sujet, la mie aérée des baguettes et le sucre beurré des croix de Savoie du Français Charles Reboulet y font le délice du centre de Bruxelles. Et contrastent avec le discours du patron, aussi acéré qu’une trancheuse à pain.
Charli, comme 29 autres artisans boulangers et pâtissiers bruxellois, a désormais une vitrine en papier glacé. «Tartine et Boterham» répertorie ces survivants d’une ère révolue, celle des boulangeries de quartier, celle où chaque rue embaumait dès l’aurore. Un raccourci de ce travail est disponible sur notre carte. En 2016, alors que les supermarchés, les snacks de gare et les dépôts à camionnettes blanches multiplient les pains décongelés dans des proportions bibliques grâce aux mélanges «prêts à cuire» de farines industrielles, cette exploration est salutaire. Pour la santé de ces artisans. Mais aussi la vôtre.
Voici quelques arguments garantis sans pesticides.
Que faut-il pour faire un bon pain?
LA FARINE - «Pour un bon pain, il faut un bon blé et un travail artisanal sur cette farine. Il y a la façon de moudre et de stocker. Avant, je travaillais en conventionnel. J’ai alors appris que les pesticides venaient non pas du champ, mais du meunier: il déversait des produits dégueulasses dans ses farines et son grain pour éviter que la pourriture ne prenne dans le silo. Depuis, je collabore avec un meunier qui travaille en frigo réfrigéré, entre 8 et 12 degrés. “Je veux pas avoir le nez qui pisse le sang à force de travailler là-dedans”, qu’il me dit».
BEURRE et ŒUFS - «On connaît de plus en plus de fournisseurs belges», assure Charli. «On arrive donc à améliorer la chaîne de fournisseur. Avant, j’achetais beurre et œufs frais chez un grossiste. Mais aujourd’hui, je me fournis directement à la ferme, chez un producteur qu’on a rencontré à Neufchâteau. Tout vient de chez lui, soit quelque chose comme 5.000 œufs et 1 tonne de beurre par mois».
Les couques sans produits chimiques?
«Après le pétrissage, on respecte le repos de la détrempe. On applique les tours pour le feuilletage si nécessaire, puis vient le façonnage. C’est alors qu’on place au surgélateur. On les réveille 2 ou 3 jours après. Maximum 5 jours, sinon il faudrait compenser avec les produits chimiques».
La concurrence
AVEC L’INDUSTRIE - Pour Charli, le vrai concurrent ne fait aucun doute: «c’est le supermarché! Au poids, il vend plus cher. On a fait l’expérience lors d’ateliers avec Tartine et Boterham. On a dégusté des croissants industriels à 68 centimes pour 40 grammes. Chez moi, c’est 1,30€ pour 80 grammes».
On peut faire confiance au boulanger de quartier? «Le problème, c’est l’honnêteté de la personne dans le comptoir. Il y a moyen de se faire avoir car certains croissants industriels ont une bonne gueule».
Faudrait-il protéger le métier comme en France? «Le problème, c’est que le lobbying des gros groupes industriels et chimiques contre toujours ces idées de labellisation. Ce qui serait plus simple, c’est qu’on bazarde tous ces industriels qui nous font bouffer de la merde. Je préférerais nettement une concurrence entre artisans boulangers».
«Le prix de la baguette fait que les boulangers français s’installent à Bruxelles»
Géry Brusselmans lance Tartine et Boterham en octobre 2015. Tout s’écrit en ligne. Bec sucré, ce journaliste veut alors donner aux boulangers une chance d’apparaître dans Google à côté des chaînes. Son critère: «façonné et cuit sur place». Pour restaurer la confiance, Géry et ses comparses organisent aussi des visites dans les ateliers.
Un an plus tard, le site se décline donc en bouquin. «C’est plus pratique de l’avoir en main. Ce premier livre reprend 30 adresses dans les 19 communes. Dans un an, on sortira le volume 2». Les critères restent les mêmes: «atelier à côté du magasin et 80% des ventes cuites ou réalisées dans cet atelier».
Ce petit guide est indispensable aux expatriés français, mais aussi aux Belges qui veulent snober le supermarché sans vraiment savoir si le boulanger du coin vaut mieux. Avec Tartine et Boterham, ni «pain aussi dur après 1 jour que tu peux jouer au rugby avec», ni «poudre à craie pour monter la crème pâtissière à l’eau», ni «mix de farines toutes faites de chez Puratos, leader de l’industrie chimique boulangère».
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Géry Brusselmans, y a-t-il un profil type du boulanger bruxellois?
Certains travaillent seuls, d’autres à 15 ou 20. Parfois, c’est traditionnel avec l’épouse dans la boutique et le mari dans l’atelier. Un modèle qui se raréfie parce que le métier ne se transmet plus entre générations. Les horaires de nuit rebutent. On voit donc arriver ces néo-boulangers aux horaires de journée plus flexibles.
La formation des jeunes pose problème?
Il y a peu d’apprentis bien formés. Par exemple, le pain au levain n’est pas enseigné. Ce n’est pas au programme. C’est vrai que c’est compliqué à maîtriser mais pourquoi laisser ce travail aux maîtres de stage? Ceci dit, on ne l’apprend pas non plus en France.
Bruxelles compte une multitude de boulangeries maghrébines: vous n’en reprenez pas dans le guide?
Les Maghrébins ont une autre conception de l’artisanat: ils n’hésitent pas à travailler avec des mix. On cherche encore la boulangerie qui remplirait les critères de Tartine et Boterham. On compte pour ça sur les conseils de nos lecteurs. Il y a des vrais fans de pain qui nous tuyautent. Certains nous disent qu’il y en a des très bonnes.
Par contre, les Français commencent à s’imposer chez nous.
C’est bien d’avoir les deux traditions qui cohabitent: la belge et la française. Les Français s’installent à Bruxelles car les loyers y sont moins chers qu’à Paris. Un autre critère, c’est le prix de la baguette. En France, c’est 90 centimes. À 1,20€, le Français n’achètera pas. À ce tarif, c’est très difficile d’en vivre. Le boulanger est cependant contraint de s’aligner, sous peine de perdre sa clientèle. Le client belge ne connaît pas ces taux et si c’est bon, il achètera. Ce qui n’est pas le cas avec une bière ou une frite...
En pratique
+ Le livre «Tartine et Boterham, 30 artisans à Bruxelles» est en vente chez les boulangers-pâtissiers référencés et dans quelques librairies indépendantes de Bruxelles
+ Le lancement du livre «Tartine et Boterham, 30 artisans à Bruxelles», cofinancé via KissKissBankBank, se fera festif et gourmand ce 29 octobre au Phare du Kanaal, (qu’on aime bien aussi). On y annonce de l’authentique bodding, des «tartines flamandes» et un max de couques. C’est entre 15h30 et 18h30 quai des Charbonnages 40 à 1080 Molenbeek. Miam!