Daniel Thielemans, figurant: «Dans Les Misérables? Je joue… un misérable»
Difficile de trouver un film, une série ou un clip belge ou sa bouille n’apparaît pas, même quelques secondes. Daniel Thielemans, Bruxellois retraité de 73 ans, a la passion d’être figurant et passe d’un tournage à l’autre, quasi continuellement.
Publié le 20-03-2018 à 15h20
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«Toute ma vie j'ai été comptable dans des entreprises comme Kodak ou la Sabena. Voilà 13 ans que je suis retraité. Et il y a 5 ans, j'ai découvert presque par hasard le monde de la figuration. Et depuis c'est ma passion, celle qui me fait me lever tous les matins ».
Sa tête vous dit peut-être quelque chose. Mais a priori, vous ne le connaissez pas, car tel est le sort des figurants au cinéma. Sauf qu'après avoir lu cet article, la prochaine fois que vous regardez un film ou une série belge, voire une pub ou un clip vous vous direz «tiens mais ce petit bonhomme, c'est celui que j'ai vu dans le journal ».
Et dès ce moment, Daniel Thielemans, vous allez le remarquer souvent. La semaine dernière, je l'ai reconnu dans le long-métrage «Une part d'ombre» de Samuel Tilman, seul en compagnie de Natacha Régnier. Il était dans « Grave» aussi, un film fantastique belgo-français où il retirait ses dents. Vous le verrez bientôt dans la saison 2 de la série « Ennemi public », où il a tourné l'autre jour avec la comédienne Stéphanie Blanchoud.

Ces derniers jours, il est apparu costumé sur le tournage de la série BBC «Les Misérables» qui se tourne en grande partie en Belgique. «Ce que je fais dans Les Misérables, rigole-t-il? Un misérable!». Mais encore: « Oh! C'était très amusant, nous étions dans un hangar et c'était une scène de bordel. Il y avait des femmes en tenue légère et nous étions quelques hommes à faire la fête. Le problème c'est qu'il faisait très froid!» Il a survécu aux basses températures, mais l'ambiance était très bonne: « l'équipe était très sympathique, très professionnelle, les costumières et maquilleuses nous ont très bien accueillis».
Ce n'est toutefois pas ce que Daniel (vaguement apparenté à l'ancien bourgmestre de Bruxelles, Freddy Thielemans) a fait de plus dur: «dans la série «Unité 42», j'étais un cadavre à la morgue. Et là... il faisait encore plus froid ».

Cette semaine, notre figurant sera deux jours sur un court-métrage de l'INSAS. «Je fais souvent les films de fin d'études. Pour toutes les écoles de cinéma d'ailleurs, IAD, INSAS ou INRACI. C'est la saison des tournages là-bas pour l'instant, ils se refilent mon nom et mon numéro. L'an dernier, j'en ai tourné une douzaine».
Des tournages auxquels il participe bénévolement: « Ce n'est pas grave, car on le sait à l'avance. Je ne fais pas figurant pour gagner l'argent, mais au bout d'une longue journée, lorsqu'on est dans une production qui a des moyens, on apprécie de recevoir un défraiement. 50 ou 60 euros la journée, c'est chouette. Il y a toutefois des productions qui sont radines. La RTBF ou la VRT, par exemple, ils font des séries à succès, mais on y est peu gratifié, genre 15 à 25 euros la journée! Vais-je encore courir sur des tournages à Anvers pour si peu? Pffff ...»
Comment devient-on «figurant» quasi à plein-temps? « Je n'ai même pas de CV ni de filmographie. J'envoie à toutes les annonces le même mail avec ma photo, qui précise que je mesure 1m63, que je pèse 70 kg, et que je suis disponible et mobile. J'ai une voiture évidemment, sans ça je deviendrais fou ». Il est aussi dans le répertoire de toutes les agences de casting et des chasseurs de figurants.

Reste à gérer son propre planning: « J'ai une feuille A4 dans ma poche avec le programme de ma semaine. Parfois, le jeudi, je n'ai rien pour la semaine suivante, puis soudain les appels arrivent, et mon agenda se remplit.» Daniel voit les choses « au jour le jour»: « je regarde la veille où je devrai me présenter le lendemain ».
Il se souvient de sa toute première figuration: «C'était sur «La Marche» de Nabil Ben Yadir. C'était pour une scène de manif, on était donc très nombreux rassemblés au Heysel. J'y suis allé et je ne connaissais personne ». Mais voilà, d'un tournage à l'autre, il a vite remarqué que les figurants du cinéma belge étaient une grande famille, car il y a un noyau d'habitués qui courent les tournages: « Je me suis vite fait des amis. Cela fait partie du plaisir de ce job, se retrouver entre potes d'un plateau à l'autre».
C'est ce qui rend les longues attentes supportables: «Être figurant, c'est souvent arriver à 8 heures du matin et attendre 17 heures pour quelques minutes de tournage. Mais entouré de bons amis, on ne voit pas le temps passer. Je ne prends même plus un bouquin, on passe le temps à papoter ».

Et puis, il y a les rencontres avec des célébrités: « Cela fait partie du charme, même si en général, on ne les approche que brièvement. Récemment, j'ai tourné avec Gérard Depardieu et Christian Clavier sur le tournage du nouveau film de Bertrand Blier à Bruxelles. Ils ne viennent sur le plateau que pour leurs plans puis disparaissent dans leur mobile-home. Parfois, lorsqu'on n'est que 2 ou 3 figurants, durant la mise en place, on peut un peu briser la glace…».
En général, la récompense arrive en fin de journée: «Certains grands acteurs concèdent alors de faire quelques photos avec les figurants. Récemment, j'ai pu rencontrer ainsi Kad Merad ou Charlotte Rampling ».
Connu dans le milieu pour son éternel petit chapeau, Daniel Thielemans n'a donc pas de « filmo officielle». Il n'a d'ailleurs pas d'autre ambition que de bien figurer, voire d'être une « silhouette » (ce qui veut dire «figurant mis en exergue»). Rares sont les films où il a eu quelques mots à dire.
Mais sa carrière se raconte au jour le jour sur les réseaux sociaux au fil de «posts» généreux en photos. Et là, on voit que de « Zone blanche» en passant par «Tueurs», «Raid dingue» ou «La part sauvage», aucun tournage sur le sol belge ne peut avoir lieu sans qu'il y pointe son nez: «Pour certains, je sais que ma page Facebook est une sorte de feuilleton».
Alors un métier, figurant? «Quand on me demande ce que je fais dans la vie, je donne toujours la même réponse… je suis un vieux monsieur qui s'amuse!».
