Procès des attentats | La présidente à Bayingana: “Mais que faites-vous dans le box des accusés?”
Les interrogatoires des accusés ont débuté ce mercredi 5 avril 2023 au procès des attentats de Bruxelles. Celui de Hervé Bayingana a déjà semé le doute sur la carrure de l’accusé à endosser un rôle de terroriste dans ce dossier. Après avoir fui le génocide au Rwanda, Bayingana avait décroché un diplôme de comptable en Belgique. Une personnalité déroutante…
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- Publié le 05-04-2023 à 14h25
- Mis à jour le 05-04-2023 à 14h55
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Ce n’est commun d’entendre la présidente d’un procès d’assises en terrorisme s’étonner de voir un accusé inculpé pour des faits aussi graves. “Mais que faites-vous dans le box des accusés, ” interroge Laurence Massart après avoir entendu le surprenant et chaotique parcours de vie de Hervé Bayingana. “Vous avez un début difficile en raison d’un contexte géopolitique. Vous êtes déraciné. Vous avez votre diplôme et vous êtes comptable. Pourquoi êtes-vous dans ce box et pourquoi n’allez-vous pas travailler et fonder une famille ? ” Derrière la vitre de ce box du procès des attentats de Bruxelles, l’accusé, 37 ans, né au Rwanda et ayant fui le génocide explique brièvement : “ce sont des circonstances, des rencontres, Madame… ” La présidente poursuit : regrette-t-il ? Et lui de répondre : “pas les rencontres, mais les circonstances… ”
Lorsqu’on écoute le natif de Kigali expliquer sa vie, ce n’est évidemment pas dans sa voiture avec Osama Krayem qu’on imaginait le trouver lorsqu’ils ont été arrêtés le 8 avril 2016. Krayem, c’est celui qui a renoncé à s’embarquer dans le métro avec Khalid El Bakraoui avec un sac à dos chargé d’explosifs.
Fuir le Rwanda natal
C’est ainsi que la Cour d’assises a entamé les interrogatoires des accusés ce mercredi. Et le cas d’Hervé Bayingana interpelle. On cherche le point de bascule et ce n’est pas avec cette première journée concentrée sur la personnalité des accusés qu’on trouvera les réponses. Jusqu’à ses 5 ans, il vivait “une enfance normale”, “dans une famille de classe moyenne. ” La guerre, le génocide, l’assassinat du papa engagé dans des groupes d’opposition : la famille hutu est contrainte de s’engager sur la route de l’exil. Vers l’Ouganda, retour au Rwanda et enfin vers Bruxelles. “J’ai des souvenirs fragmentés. Sur la route de l’exil, on entendait des tirs, on voyait des gens atterrés… ” Dans une déposition, son frère, Yves, avait rapporté : “on marchait au-dessus des corps”. Enjamber des corps, on se retrouve plongé dans les récits des victimes des attentats qui ont dû s’extirper du métro, du hall de l’aéroport. Le frère de l’accusé avait aussi expliqué que Hervé avait été traumatisé pendant de longues années à la suite des événements vécus au Rwanda.

C’est ainsi qu’il débarque en Belgique à 13 ans, qu’il va au bout de ses études secondaires, réussi son baccalauréat en comptabilité… “Mais que faites-vous dans le box des accusés ? ”, enchaîne la présidente ? Car finalement, plutôt que “d’encoder des chiffres dans un logiciel”, le comptable s’engage dans le social, dans un centre de réfugiés de la Croix-Rouge. “C’était plus gratifiant que la comptabilité. C’était des gens comme moi, qui avaient le même parcours : des Somaliens, des Afghans… J’avais trouvé ma voie et le bienfait que je leur apportais, c’était gratifiant… ” Travailler dans le social, c’est une constante dans la famille. Bayingana, c’est un des profils surprenants de ce procès. Toujours posé, jamais dans la contestation. Dans son pull blanc côtelé, il captive l’assemblée qui semble déroutée par ce gars qui ne colle pas avec le djihadiste radicalisé communément imaginé par notre conscience collective. Son intelligence semble évidente et il aura, plus que d’autres dans ce box, la capacité d’en jouer.
Converti à l’islam après avoir regardé un documentaire
Et l’islam dans tout ça ? Ce n’est pas sur Youtube, galvanisé par des vidéos de propagande, hypnotisé par des égorgements daechiens que Hervé Bayingana va se convertir… C’est un documentaire téléchargé sur la chaîne “Planète plus” qui va éveiller ce chrétien. “Le documentaire s’intitulait ‘l’islam et l’empire de la foi’. Je ne cherchais rien… ” Le portrait du prophète a bousculé ses convictions : “c’était très élogieux. Après ça, j’ai commencé la lecture du coran… ”
Et on revient sur cette question de la présidente : “Mais que faites-vous dans le box des accusés ? ” Se convertir à l’islam ne fait pas d’Hervé Bayingana un terroriste, un gars qui prête main-forte à Krayem et Abrini dans leur cavale postérieure au 22 mars 2016. La présidente s’aventure sur le terrain de ce néoconverti qui voulait convaincre des musulmans de naissance de la sincérité de sa foi. “Un converti peut-il dire ‘non’à un musulman depuis toujours ? Vous avez senti le poids de cette conversion ? ” Hervé répond : “indirectement, oui… Je ne sais pas comment formuler ça. Comment prouver indirectement qu’on appartient à la communauté. ”
La présidente revient alors sur une déclaration de Mohammed Abrini “qui a dit qu’un converti fait ce qu’on lui demande. ” “Ce n’est pas aussi affirmatif”, répond Bayingana. Aux trois premières questions de la présidente (1. Participation aux explosions à Zaventem 2. À l’explosion à Maelbeek 3. À faire partie d’un groupe terroriste), le Rwandais a répondu : “j’ai une part de responsabilité et je m’en expliquerai le moment venu. ”
Il faudra alors attendre l’interrogatoire sur les faits pour avoir un meilleur éclairage sur cette question qui attend désespérément une réponse : “Mais que faites-vous dans le box des accusés ? ”