«Un jury n’est pas moins capable»
En France, il existe une juridiction spéciale pour les affaires de terrorisme. Elles échappent aux jurys populaires. Pas en Belgique.
Publié le 09-01-2019 à 06h00
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Tâche délicate pour les quatre femmes et les huit hommes désignés, comme jurés principaux, au procès d’assises qui doit juger Medhi Nemmouche et Nacer Bendrer, accusés de l’attentat au Musée juif de Belgique, le 24 mai 2014. Un procès très médiatisé et qui se déroule dans un contexte de tension.
Des professionnels
Une telle charge émotionnelle n’est-elle pas disproportionnée pour un jury populaire? La question mérite d’être posée. En France, depuis 1986, toutes les affaires touchant au terrorisme relèvent d’une «Cour d’assises spéciale» uniquement composée de magistrats professionnels. Pas de jurés tirés au sort.
À l’époque, des membres du groupe terroriste Action directe, jugés devant les assises de Paris, avaient proféré des menaces à l’encontre des jurés. Le lendemain, cinq d’entre eux étaient absents au procès, qui dut être reporté. On décida alors d’étendre aux crimes et délits commis en matière de terrorisme le champ d’action de la Cour d’assises spéciale, créée en 1982 pour juger les crimes militaires.
À présent, le terrorisme est devenu surtout islamiste. Et avec la criminalisation quasi systématique, depuis 2016, des tentatives de rejoindre les théâtres du djihad, l’activité de la juridiction parisienne s’est sans cesse accrue. En 2017, le nombre d’audiences était multiplié par dix. Les moyens, juges, magistrats instructeurs, greffiers, ont été considérablement renforcés. La Cour spéciale siège quasiment en permanence. Les sessions durent entre 2 et 12 semaines.
«Pas senti ce besoin»
Et en Belgique? «Depuis quelques années, les faits de terrorisme sont presque systématiquement pris en charge par le Parquet fédéral, instauré en 2002, et sont traités par les mêmes cours à Bruxelles. De facto, on a des juges spécialisés, même s'ils traitent aussi d'autres dossiers. Le nombre de procureurs fédéraux spécialisés a plus que doublé, passant de 5 magistrats spécialisés en 2012, à 12 en 2018», explique Thomas Renard, chercheur spécialisé en matière de contre-terrorisme à l'Institut Egmont.
Qui dit aussi «n'avoir pas ressenti, au cours de mes rencontres avec les magistrats, de besoin de créer une telle cour spéciale en Belgique. J'ai plutôt eu l'impression que le système fonctionnait bien tel qu'il est.»
De plus, souligne le chercheur, l'ampleur judiciaire du terrorisme en Belgique n'est pas comparable à la France. Il y a, aujourd'hui, beaucoup moins de départs et de retours vers la Syrie. 46 procès pour terrorisme étaient malgré tout programmés l'an dernier. «Mais l'embouteillage judiciaire s'est résorbé.»
Et s'il y a eu quelques gros procès, de type «filières» ou Sharia4Belgium, ils ne débouchent que rarement aux assises, comme pour l'attentat du Musée juif. «Les assises restent un tribunal d'exception.»
Un risque «subjectif»
«Et pourquoi une juridiction populaire ne pourrait-elle pas juger de faits de terrorisme alors qu'elle traite bien d'assassinats?», qui sont d'une même nature criminelle, interroge un autre spécialiste.
Alexandre Wilmotte, avocat pénaliste familier des assises, plaide en ce sens. «Les infractions à caractère terroriste sont assez claires en matière pénale, fait-il remarquer. Je ne pense pas qu'un jury populaire serait moins capable de traiter ces affaires-là que d'autres.»
Quant au risque potentiel pour le jury, il ne semble pas très élevé. «Je n'ai jamais connu de cas de figure où il y a eu des pressions de quelque nature que ce soit sur des jurés dans un procès d'assises, et j'en ai fait beaucoup. Je ne vois pas pourquoi il en serait autrement en matière terroriste», estime Me Wilmotte.
Le risque «subjectif» paraît plus difficile à maîtriser. « Mais le terrorisme ne s'oriente pas vers une personne déterminée», souligne l'avocat.