Ces 40 victimes du terrorisme ont gravi le col du Grand Colombier: "C’est pour honorer la mémoire de ceux qui ne sont plus là..."
Quarante victimes originaires de 11 pays différents ont gravi, ensemble, le col du Grand Colombier un jour avant le passage des coureurs du Tour de France dans le cadre de l'événement Stronger Together. Récit d’un séjour chargé en émotion et en symboles.
- Publié le 17-07-2023 à 08h06
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Les mots manquent pour décrire l’émotion ressentie durant les quatre jours de l’événement Together Stronger, qui a rassemblé à Aix-les-Bains 40 victimes d’attentats terroristes issues de 11 pays différents, de la Belgique à l’Allemagne en passant par l’Angleterre, l’Argentine, l’Inde ou les États-Unis. Main dans la main, les participants ont pu profiter le dernier soir d’un "showcase" privé d’Ozark Henry, présent durant tout le séjour avec son épouse et ses deux enfants.
L’émotion était à son paroxysme tant ces personnes qui ne se connaissaient pas au départ ont pu échanger sur leurs histoires respectives et réussir l’exploit d’arriver à bout du col hors catégorie du Grand Colombier un jour avant le passage des coureurs du Tour de France. Ils étaient accompagnés de deux parrains d’exception : Marc Herremans, l’ancien champion du monde d’Ironman aujourd’hui triathlète handisport, et l’ancien champion du monde de cyclisme Johan Museeuw.
La persévérance et l’abnégation dont font preuve les survivants et victimes indirectes du terrorisme laissent sans voix, à l’image de Karen Northshield. Chaque matin, à l’aube, cette ancienne championne de natation se rend au fitness dans le cadre de sa rééducation pour effectuer des tractions et exercices musculaires. Une prouesse difficilement concevable quand on connaît son parcours et son destin brisé. Alors qu’elle avait 31 ans et un avenir tout tracé, elle s’est retrouvée à côté de la bombe qui a explosé dans le hall de Bruxelles National le 22 mars 2016, soufflant tout son côté gauche, de l’oreille aux orteils. En plus de ses problèmes de mobilité et du traumatisme psychologique, elle n’entend plus de l’oreille gauche. Les médecins lui donnaient zéro chance de survie mais sept ans plus tard, après avoir subi soixante opérations en quatre ans, elle est debout et a participé aux derniers 20 kilomètres de Bruxelles, gravi le Mont Ventoux et l’Alpe d’Huez lors des deux premières éditions de Together Stronger, et maintenant le col du Grand Colombier.
"Tout ce qui s’est passé est totalement surréaliste."
"Tout ce qui s’est passé est totalement surréaliste. J’avais un avenir radieux devant moi, j’étais dans la forme de ma vie, entrepreneuse, sportive de haut niveau, jusqu’à ce que cet événement survienne. Avec du recul, tout ça me semble improbable. J’ai été coupée en plein élan. Quelle était la probabilité que je me retrouve à ce moment-là, à cet endroit ? Je n’éprouve aucune haine ou colère. J’essaye d’accepter ma situation, de regarder de l’avant", nous souffle-t-elle à bord de son handbike en pleine ascension du Grand Colombier. "Ma vie quotidienne ressemble à une succession d’obstacles et de montagnes. Si j’ai participé à cette édition, c’est pour honorer la mémoire de ceux qui ne sont plus là ou qui vivent avec des traumatismes, mais surtout pour mon 'clan', à savoir mes huit frères et soeurs et mes parents qui m’ont donné tant d’amour pour surmonter ces épreuves", précise Karen qui a couché son récit dans un livre, “dans le souffle de la bombe."

"Nous étions le double de participants par rapport à l’année passée. C’est émouvant de voir l’ampleur que prend cet événement", confie Guillaume, vice-président de V-Europe à la base du projet, au sommet du col. "Nos histoires sont singulières mais complémentaires et font écho auprès des autres victimes. Chacun vit son deuil et ses traumatismes à sa manière mais nous ne sommes pas jugés, il y a beaucoup de compassion. On se comprend simplement en se regardant."
“On arrive enfin à faire comprendre à tout un chacun que cela peut frapper n’importe qui, n’importe quand, n’importe où."
Organiser un tel événement constitue un défi de taille. "Je tiens à remercier les trois coordinateurs et l’ensemble du staff qui ont permis, de manière bénévole, la bonne tenue de cet événement", explique Aristide Melissas, instigateur de l’événement après avoir été touché dans l’attentat de Manhattan en 2017 au cours duquel son épouse Marion Van Reeth a perdu l’usage de ses jambes. “On arrive enfin à faire comprendre à tout un chacun que cela peut frapper n’importe qui, n’importe quand, n’importe où. Les participants souffrent de séquelles visibles et invisibles et la santé mentale peut rester fragile. Les réactions chaleureuses ne font que renforcer l’envie de continuer à étendre le mouvement et on espère l’année prochaine attirer des membres du corps médical, des policiers, ambulanciers, infirmiers car c’est toute une société qui est impactée par le terrorisme.”
Plus d’infos pour soutenir l’initiative : https://togetherstronger.eu/
”Je me sens plus forte qu’avant”
Vera ne peut contenir son émotion au moment de tirer le bilan de ces quatre jours passés en compagnie d’autres victimes du terrorisme. En 2017, elle se promenait avec son mari Marc sur la rambla de Barcelone lorsqu’elle a été fauchée par une fourgonnette qui a tué 15 personnes, la condamnant à se déplacer en chaise roulante. “Cette expérience de Together Stronger me rend plus forte qu’il y a une semaine”, explique-t-elle. “Nous avons tissé des liens très puissants avec les participants. Nous sommes des gens normaux à qui il est arrivé un événement épouvantable mais nous sommes là tous ensemble, peu importe notre histoire, notre rééducation et nos complications. Je me sens fatiguée ce qui me rend encore plus émotionnelle mais c’était une expérience unique grâce à une organisation magnifique malgré le fait que ça ne doit pas être facile à mettre en place.”

Pour sa troisième participation, elle a grimpé le Grand Colombier à bord d’un tandem avec son mari. “Lors du Mont Ventoux, la batterie nous a lâchés mais nous sommes malgré tout arrivés au sommet. Cette année, je trouvais que la pente était encore plus raide mais nous y sommes arrivés dans une ambiance solidaire. C’est important de garder en tête qu’on peut faire plus de choses que l’on ne pense. Parfois on se plaint, on n’a pas envie de faire certaines choses, mais on doit aller de l’avant et tenter de rester positif”, relativise Vera, originaire de la province d’Anvers.
Symbole de cette solidarité et de cette mentalité, lors de l’ascension, les participants se sont retroussés les manches pour permettre d’arriver unis au sommet. C’était notamment le cas d’Oumar, présent lors de l’attentat de Zaventem et au cours duquel une partie du toit s’est effondrée sur lui. Ce Namurois d’origine guinéenne n’a pas hésité à laisser son vélo sur le côté du chemin pour pousser Hassan, une victime en handbike dont la batterie avait lâché. L’arrivée collective au sommet du col avec Ozark Henry interprétant Heroes au piano a constitué le point d’orgue du séjour.
”En haut du col, j’ai senti la présence de mon frère”
Alexia Strens a perdu son petit frère âgé de 27 ans lors de l’attentat du musée juif de Bruxelles en 2014. Comme d’autres participants, elle a hésité avant de se lancer dans l’aventure de Together Stronger. “J’avais des craintes de côtoyer des victimes d’attentats qui ont fait la démarche de porter plainte et qui vivent le trajet judiciaire alors que ce n’est pas mon cas. C’est dur à expliquer mais je suis un peu dans le déni afin de me protéger personnellement. Cela a été une préparation mentale et psychologique de participer et c’est déjà une victoire d’avoir eu le courage de venir. J’ai eu la chance d’accompagner mon petit frère dans la mort 13 jours après l’attaque. En haut du Grand Colombier, j’ai senti toutes ces vibrations quand son cœur s’est arrêté de battre et j’ai senti sa présence. J’ai instinctivement regardé Philippe qui a perdu sa sœur Fabienne à Zaventem et on s’est compris. C’était aussi le cas avec Ana (originaire d’Argentine et qui a perdu son mari Hernan lors d’un attentat à Manhattan en 2017, NdlR) alors qu’on ne se connaissait pas avant. C’était une émotion pure, livrée à nu et non programmée. Le fait de rencontrer des victimes d’autres pays était très enrichissant. On a connu le même parcours qui va du déni au négationnisme de l’événement à l’étouffement des victimes.”

Elle espère que ce genre d’initiative va permettre aux politiques de considérer la question de l’accompagnement des victimes du terrorisme de manière coordonnée et sans récupération. “J’espère qu’on ne va pas devoir escalader le Kilimandjaro ou faire une chaîne humaine jusqu’à la planète Mars pour qu’on offre enfin un trajet de soins multidisciplinaire aux victimes, qu’elles soient directes ou indirectes”, explique cette professionnelle de la santé qui travaille également à l’armée. “Chaque homme politique, quel que soit son parti, doit avoir la même attitude et vision sur l’obligation de l’aide aux victimes du terrorisme. Ce n’est pas le cas actuellement. Ils sont aux abonnés absents et j’espère que ce genre d’initiative va permettre d’ouvrir les yeux de l’opinion publique sur le combat permanent que nous devons mener.”
”Ne pas avoir peur du regard des autres”
Dimitrios avait 17 ans lorsqu’il a été amputé des deux jambes suite à une attaque terroriste perpétrée à l’Oktoberfest de Munich en 1980. “J’avais de l’appréhension en participant à Together Stronger. Comment allait s’élaborer le contact avec les autres victimes ? Après seulement une heure, j’ai compris que la cohésion de groupe opérait. La fin de l’ascension du Grand Colombier lorsque nous sommes arrivés tous ensemble au sommet était extrêmement puissante. Hassan (en chaise roulante après avoir été poignardé quatre fois lors d’un attentat en Finlande, NdlR) a eu un problème avec l’assistance électrique de son handbike qui a lâché mais tous ensemble, nous sommes parvenus à accomplir ce challenge”, explique Dimitrios qui vit toujours à Munich.

Il tient à délivrer un message positif aux victimes directes et indirectes d’attentats terroristes qui peinent à remonter la pente jour après jour. “Il faut regarder de l’avant au maximum et pas en arrière car cela vous pompe votre énergie. Quand tu as un handicap, chaque jour est spécial. Peut-être que tu ne te sens pas capable de surmonter les épreuves du quotidien mais tu n’as pas le choix. Mon attaque, c’était il y a 40 ans. Et depuis lors, chaque jour est un challenge. Il n’y a pas de rampe d’accès dans les lieux publics, pas d’escalier pour se rendre au restaurant, etc. Il ne faut pas être honteux de demander de l’aide et ne pas avoir peur du regard des autres. Ce n’est pas facile mais le fait de bien s’entourer constitue l’une des clés pour rester positif et c’est ce que j’ai ressenti durant ce séjour”, conclut-il.