Les expulsions domiciliaires sous la loupe d’une recherche inédite
Chaque année, entre 4 000 et 5 000 expulsions domiciliaires sont ordonnées par jugements en Wallonie. Arnaud Bilande, du RWDH, passe le phénomène sous la loupe.
- Publié le 05-06-2023 à 06h05
Peu étayée par des chiffres, mal documentée, absente ou presque des politiques (pas une ligne dans le plan wallon de sortie de la pauvreté du gouvernement Di Rupo), la question des expulsions domiciliaires reste très largement méconnue.
Le Rassemblement wallon pour le Droit à l’Habitat (RWDH) vient de lui consacrer une recherche, qui complète les données d’une étude de l’IWEPS (l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique) rendue publique en 2015. Son contenu sera au cœur du colloque organisé à Charleroi le 15 juin prochain sur la prévention des expulsions domiciliaires.

"Chaque semaine en Wallonie, celles-ci font l’objet de jugements par dizaines", explique Arnaud Bilande du RWDH (photo en médaillon), auteur de la recherche réalisée à l’appui de nombreuses contributions d’opérateurs de terrain. "L’estimation est de 4 000 à 5 000 expulsions judiciaires, dont la signification suscite une poussée de stress dans les ménages, mais aussi au sein des équipes de travailleurs sociaux qui les accompagnent. Si toutes les procédures ne sont pas mises en œuvre (95% des locataires quittent leur logement avant), les exécutions mettent à mal la dignité humaine."
À la perte d’un toit, conséquence déjà dramatique, viennent s’ajouter d’autres effets collatéraux : les victimes subissent humiliations et violences, elles sont marquées psychologiquement pour longtemps, doivent supporter des surcoûts liés à la présence d’un huissier, l’intervention d’un serrurier requis par la police, les frais de garde-meubles, etc. Ces expériences impactent les enfants, engendrent des ruptures sociales et de l’isolement, elles peuvent accentuer des problèmes de santé en particulier chez les personnes âgées (désorientation, décompensation, accident, hospitalisation, etc.).
"Contrairement aux idées reçues, les expulsions ne relèvent pas seulement de la responsabilité individuelle mais sont le symptôme du phénomène plus large du mal-logement, constate Arnaud Bilande. Elles s’enracinent dans la dégradation progressive des conditions socio-économiques des ménages".
Selon le chercheur, il est possible d’identifier des facteurs de risques et de mener un travail de prévention.
"Ailleurs, en Belgique et en Europe, des politiques volontaristes ont démontré l’intérêt de mesures de prévention et de lutte contre le phénomène. Les expulsions sont synonymes d’échecs pour toutes les parties, locataires aussi bien que bailleurs. Elles ne constituent en rien et pour personne une bonne solution. Pourtant, les données de référence sont inexistantes ou disparates, voire peu harmonisées, et collectées de façon irrégulière. Leur dispersion auprès d’une multiplicité d’acteurs intervenant à différentes étapes des procédures (greffes des tribunaux, CPAS, huissiers, communes, services sociaux) complique l’analyse du phénomène. Mieux l’appréhender, mieux en décrypter l’évolution s’imposent comme des enjeux politiques majeurs".
C’est à cette réflexion que sera dédicacé le colloque, qui affiche déjà complet.
Les loyers impayés, cause numéro 1
Les arriérés locatifs concernent 7 jugements sur 10, selon les statistiques de l’IWEPS. Et ce n’est pas étonnant pour le RWDH.
"Le loyer, c’est le seul crédit pour lequel il n’y a pas besoin de banquier, constate Arnaud Bilande. Le locataire sait qu’il y a de la flexibilité, qu’il n’aura pas d’intérêts de retard ni de pénalité à payer. C’est ainsi qu’il se met en danger dans le bien qu’il occupe, jusqu’à ce que la corde casse."
Les sociétés de logement de service public ont été invitées à identifier les retards au plus vite, afin d’éviter des contentieux importants. À Charleroi, la Sambrienne a établi des procédures d’accompagnement rigoureuses, sur le plan économique et social. Dès le premier impayé, la procédure est lancée, elle se scinde en deux phases : l’une de prévention et de recouvrement à l’amiable, l’autre plus formelle dès l’envoi d’une mise en demeure.
"L’annonce même d’une procédure d’expulsion est vécue par les ménages comme une déflagration, observe le rapport du RWDH. Elle les met sous une terrible pression (de déménager dans les délais, de quitter leur quartier, de chercher des solutions pour se loger, mais aussi de pouvoir entreposer meubles et effets dans le cas contraire…), et ce, quelle que soit l’issue de la procédure. La temporalité est déterminante et constitue une source majeure de stress. "