Mendicité : 253 Communes violent les droits humains, "les Communes sont démunies"
Selon un rapport du Service de lutte contre la pauvreté et de l’Institut fédéral des droits humains, 253 règlements de police ne respectent pas les droits humains en ce qui concerne la mendicité.
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Publié le 04-05-2023 à 19h28 - Mis à jour le 05-05-2023 à 08h54
La mendicité, un droit humain ? L’arrêt Lacatus (lire ci-contre) rendu en 2021 par la Cour européenne des droits de l’homme reconnaît la mendicité comme un droit fondamental.
Un droit qui n’est toutefois pas absolu. La mendicité peut être "restreinte" si elle devient agressive ou intrusive par exemple. "Mais les restrictions sont assez limitées. La CEDH précise même que les gouvernements ont une marge de manœuvre étroite", pointe Mounjy Belhaloumi, collaborateur au Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale. L’organisme vient de publier, avec l’Institut fédéral des droits humains (IFDH), une étude sur la réglementation de la mendicité en Belgique, notamment au regard de l’arrêt de la CEDH.
On y apprend que sur les 581 Villes et Communes que compte la Belgique, 305 ont un règlement sur la mendicité. Plus de 200 n’en ont donc pas. "Et il n’est pas forcément nécessaire de réglementer la mendicité, avance Mounjy Belhaloumi, puisque tous les aspects problématiques (trouble à l’ordre public, etc.) sont déjà réglés par d’autres normes."
Interdiction générale
Autre constat: sur ces 305 règlements, 253 contiennent au moins une disposition qui, selon l’analyse des deux institutions, pose problème et viole les droits fondamentaux.
87 règlements de police contiennent par exemple une interdiction générale de la mendicité. "Ce type d’interdiction sera toujours contraire à la jurisprudence, note le rapport. Elle ne contribue pas à protéger les droits des tiers. En effet, elle ne tient pas compte de la nature de la mendicité, interdisant de manière injustifiée les formes de mendicité non agressives et non obstructives. Une telle interdiction ne contribue pas non plus à la protection de l’ordre public, puisque la mendicité en soi ne peut être considérée comme un trouble à l’ordre public."
Parmi les autres dispositions problématiques relevées: l’interdiction de mendier "en affichant des infirmités corporelles, des blessures ou des mutilations", de mendier avec des animaux – "il s’agit d’une évaluation irréaliste du danger", dit le rapport – ou de mendier dans des zones spécifiques.
"Souvent, ces réglementations semblent introduites pour renforcer l’attrait commercial ou touristique de la Commune concernée. Ce motif ne constitue pas une justification acceptable pour restreindre le droit de mendier", justifie le rapport. Il en va de même pour les interdictions de mendier pendant des périodes spécifiques (l’été, etc.) ou lors de festivités.
Pour le Service de lutte contre la pauvreté et l’Institut des droits humains, l’interdiction de la mendicité en compagnie de mineurs ou par des mineurs est également "excessive". "Elle ne peut seule être considérée comme un trouble à l’ordre public […] Toutefois, il faut veiller à ce que l’intérêt supérieur de l’enfant soit adéquatement sauvegardé […]"
Dernier exemple: dans de nombreuses Communes, il est interdit de sonner ou de frapper aux portes afin d’obtenir l’aumône. "Cette interdiction est également excessive, juge le rapport. Le simple fait de sonner ou de frapper à la porte ne suffit pas pour constituer une forme de “harcèlement”."
Pour Mounjy Belhaloumi, "le gros souci de ces dispositions problématiques, c’est qu’elles sont énoncées sans circonstances concrètes".
Sanctions "indécentes"
Quant aux sanctions prévues dans les règlements de police, elles sont parfois "disproportionnées" et "indécentes", estime Christophe Blanckaert, lui aussi collaborateur au Service de lutte contre la pauvreté.
Certains règlements prévoient ainsi des amendes administratives pouvant atteindre 350 € pour les adultes (dans 251 Communes) et 175 € pour les mineurs, et même la possibilité de confisquer les revenus de (certaines voire toutes) formes interdites de mendicité. "Ces saisies ont un impact disproportionné sur les personnes qui dépendent de la mendicité pour leur subsistance, et renforcent leur situation de vulnérabilité manifeste", indique le rapport. Sur le terrain, ces sanctions ne sont néanmoins pas toujours appliquées de manière stricte, nous dit-on, preuve d’une certaine tolérance.
L’étude souligne aussi de bonnes pratiques: des règlements obligent ainsi les policiers à informer les mendiants de leurs droits et/ou à les orienter vers des services sociaux.
"Cela va davantage dans le sens d’une aide réelle plutôt que d’essayer de cacher la mendicité. Car si la mendicité n’est plus criminalisée – elle a été sortie du Code pénal en 1993 -, elle reste fort marginalisée", admet Mounjy Belhaloumi.
Quel risque ?
Que risquent les Communes face à ces dispositions illégales ? "Dans un premier temps, pas grand-chose, reconnaît le collaborateur. Mais la Belgique est signataire de la CEDH et doit donc s’y plier." Et Christophe Blanckaert d’ajouter: "En théorie, l’autorité de tutelle – c’est-à-dire les Régions – pourrait décider d’annuler les dispositions litigieuses…"
Le rapport émet aussi quelques recommandations, dont l’adaptation des règlements de police par les Communes. "Une prise de position, un mot d’ordre des Régions serait intéressant, évoque Mounjy Belhaloumi. Et ce afin d’avoir une réponse globale et structurelle à la mendicité."
Le rapport recommande aussi de renforcer l’accès à la Justice pour les personnes en situation de pauvreté, de ne pas prévoir d’amendes ou les limiter à 1 euro symbolique et enfin de s’attaquer aux causes profondes de la mendicité.

"Les Communes sont complètement démunies"

"Le côté disparate des règlements de police concernant la mendicité est inévitable en raison de l’autonomie communale", assure l’Union des Villes et des Communes de Wallonie (UVCW).
"La mendicité relève aujourd’hui de l’ordre public et on rencontre pas mal de difficultés, avoue Sylvie Smoos, conseillère juridique à l’UVCW. Il n’y a ni interdiction, ni sanction. Les Communes doivent gérer toutes seules et elles sont complètement démunies."
Pour Sylvie Smoos, la mendicité concerne essentiellement les Villes et les Communes où il y a du passage et des commerces. Et semble se renforcer malheureusement depuis le Covid. "Les retours de terrain que nous avons nous le confirment. Et nous avons de plus en plus de questions sur la mendicité en provenance des Communes aussi."
Et d’ajouter: "L’idée n’est pas d’interdire la mendicité – c’est inenvisageable dans un règlement. Mais que fait une Commune face à une mendicité organisée par exemple ? Ça, c’est un réel problème." En réponse, certaines Communes ou Villes limitent aujourd’hui la mendicité en centre-ville par exemple, pointe Sylvie Smoos qui rappelle toutefois que ces règlements de police ont été adoptés à l’époque "sans que cela ne pose de problème", notamment par l’Autorité de tutelle, dit-elle.
La conseillère plaide toutefois pour une réglementation commune. "Il faudrait un mot d’ordre d’en haut afin d’aider les Communes. Et prévoir du coup aussi d’autres aides pour les plus démunis."
Sylvie Smoos reconnaît que la problématique n’est pas simple à cadrer. "C’est sans doute un beau challenge pour la prochaine législature. Mais ce ne serait pas plus mal de faire bouger les lignes. Il pourrait y avoir effectivement de potentielles attaques au Conseil d’État. Et pour les Communes, c’est embêtant…"