Jean-Marc Nollet sur Sarah Schlitz : "Écolo a moins le droit à l’erreur et on en est conscient"
Le co-président d’Écolo, Jean-Marc Nollet, revient sur la démission de Sarah Schlitz et la désignation ce dimanche 30 avril 2023 de Marie-Colline Leroy par les militants de son parti. Il en profite pour inviter les autres formations politiques à ne pas attendre un nouveau scandale pour prendre des décisions fortes en matière de gouvernance. Interview exclusive.
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Publié le 02-05-2023 à 04h00 - Mis à jour le 02-05-2023 à 06h28
"Ceux qui pensaient qu’en coupant un arbre on éliminerait la forêt seront déçus", a lancé, depuis l’estrade et sous les vivats, la co-présidente d’Écolo Rajae Maouane. Avant d’avertir : "Derrière chaque écologiste, il y en a des dizaines d’autres qui sont prêts à prendre le relais". Et derrière la Liégeoise Sarah Schlitz, c’est donc la Hennuyère Marie-Colline Leroy, 38 ans, qui a émergé dimanche et agrippé le témoin.
Autre profil, même détermination
Dimanche, face aux membres du Conseil de fédération d’Écolo, le visage de Sarah Schlitz laissait apparaître, sous les traits tirés par la fatigue, une certaine forme de sérénité retrouvée.
Marie-Colline Leroy, désignée par le parti pour la remplacer, affichait à ses côtés un sourire un brin crispé en début de séance, mais déterminé.
Il faut dire que ces derniers jours, ces dernières heures, la vie de la famille écologiste s’est retrouvée chamboulée dans son organisation, bousculée sur ses fondamentaux.

Jean-Marc Nollet, son co-président, revient pour L’Avenir sur cette séquence qui a éclaboussé son parti et provoqué, la semaine passée, la démission de la secrétaire d’État à l’Égalité des genres, l’Égalité des chances et la Diversité
"Elle a placé la barre de la responsabilité politique là où plein d’hommes n’ont pas été capables de la placer"
Jean-Marc Nollet, la démission de Sarah Schlitz était-elle devenue inéluctable ?
Cette démission, c’est le choix de Sarah. C’est sa décision et je pense qu’elle l’a pesée. Ce n’est pas une décision sur un coup de tête, elle s’en est expliquée : elle a considéré que c’était nécessaire pour calmer le jeu, parce que les polémiques avaient pris trop d’ampleur, qu’il y avait un emballement autour de ça et ça risquait d’effacer son bilan, ça risquait d’effacer tout le travail qu’elle avait finalisé et c’est en ça qu’il faut lui tirer un grand coup de chapeau. Pour permettre à son combat pour l’égalité d’avancer, elle a considéré que ce n’était pas sa personne qui comptait, elle a donc décidé de faire passer ses combats avant sa personne. Je le comprends et je le respecte : c’est tout à son honneur.
C’était d’autant plus nécessaire qu’il s’agit d’un membre d’Écolo ?
C’est clair qu’Écolo a toujours eu ce souci de la bonne gouvernance, un souci élevé de la déontologie, de l’éthique et aussi de la responsabilité politique, c’est-à-dire d’être capable à un moment donné de s’effacer derrière le projet. Sarah Schlitz a mis ça en phase avec la décision qu’elle a prise. Chapeau.
Pourtant, ces dernières semaines, d’autres scandales d’apparence plus graves ont éclaté…
Je refuse de parler de scandale ici. Il y a eu des maladresses, c’est clair. Elle l’a reconnu, elle l’a dit en commission. Sur chacun des faits sur lesquels Sarah a été interrogée au Parlement, elle a répondu ce qu’elle savait au moment où elle était interrogée, elle a donné les informations telles qu’elles les avaient sur les dossiers sur lesquels elle était interrogée. Et il y a eu un emballement, il y a eu des communications malheureuses. Mais, sorry : les scandales, c’est ailleurs, c’est autre chose ! Alors, oui, on a moins droit à l’erreur, c’est clair, et on en est conscient. Mais je pense aussi qu’en posant ce geste-là, Sarah peut se regarder tous les matins dans le miroir. J’ai l’impression que d’autres ne pouvaient et ne peuvent toujours pas le faire… Elle a placé la barre de la déontologie et de la responsabilité politique exactement là où il le fallait et là où plein d’hommes n’ont pas été capables de la placer, alors qu’il y avait bien plus de raisons de le faire. J’ose espérer que ceci deviendra le standard, la référence en la matière, et que d’autres en tireront les conséquences le moment venu…
Sarah Schlitz, cible des conservateurs
N’avez-vous pas le sentiment que certains, comme la N-VA ou le MR (NDLR : qui ont fait du "wokisme" leur nouvelle cible), voulaient la tête de Sarah Schlitz davantage pour ce qu’elle représente, plutôt que pour les maladresses qu’elle a pu commettre ?
Le wokisme, c’est Martin Luther King. C’est l’idée d’éveiller et de rester éveillé, d’être attentif et de combattre toutes les formes d’injustice, notamment celles commises à l’encontre des femmes. C’est donc tout le travail mené par Sarah, notamment avec la loi sur les féminicides. La Belgique sera le premier pays de l’Union européenne à se doter d’une loi globale de lutte contre les féminicides : définition légale, recensement officiel, analyse des manquements, formation des magistrats, nouveaux droits octroyés aux victimes (NDLR : le projet de loi " stop féminicide " a été adopté au gouvernement, les travaux d’intégration de l’avis du Conseil d’État sont en cours avant que le texte ne soit envoyé au Parlement). Et donc, en ce sens, oui : puisqu’elle incarnait ça, puisqu’elle portait dans ses tripes et dans sa chair ces combats, alors, forcément, elle était une cible. Tout comme ses politiques, profondément progressistes, qui étaient pour les conservateurs difficiles à accepter, voire à l’exact opposé de ce qu’eux-mêmes imaginent comme règles, comme normes, comme vision de la société. Elle était une cible, mais elle l’était déjà avant. Et je vous le dis : elle le restera après, parce que, ces combats, elle va continuer à les porter.

Sarah Schlitz a donc démissionné et c’est Marie-Colline Leroy qui a été choisie par le comité de fédération du parti pour la remplacer. Un bon choix ?
Marie-Colline est quelqu’un que je connais depuis de nombreuses années puisqu’elle était ma colistière dans le Hainaut. On a donc mené à plusieurs reprises déjà des campagnes ensemble. Et donc je sais sa force de conviction, sa sincérité féministe profonde, son attachement aux valeurs progressistes, elle sait être à l’écoute, mais elle sait aussi ce qu’elle veut. C’est une femme déterminée. Le style est différent, la voix est différente. Quoique… Mais je sais qu’elle sera à la hauteur, parce qu’elle a les compétences, elle a l’histoire (NDLR : elle était présidente de la commission des Affaires sociales de la Chambre où ses bons rapports avec les autres partis ont été salués) et je sais aussi qu’elle pourra s’inscrire dans le chemin qui a été tracé par les politiques de Sarah, qui étaient d’ailleurs les politiques du gouvernement et d’Alexander De Croo. Le chemin qui a donc été tracé avec Sarah sera le chemin poursuivi par Marie-Colline.
Certains, dont la N-VA, avaient pourtant plaidé pour la suppression de ce poste, à un an de la fin de la législature. En quoi le conserver était important pour Écolo ?
Aucune des 7 ministres et secrétaires d’État qui a exercé la fonction avant Sarah n’a autant porté cette compétence et ces secteurs-là à l’avant. Personne n’a autant concrétisé ce qui était pourtant nécessaire. C’est impressionnant le travail qui a été fait. Et je suis persuadé que c’est parce que nous avons voulu, lors de la formation du gouvernement, main dans la main avec le Premier ministre Alexander De Croo d’ailleurs, donner une compétence exclusive à ces matières-là. Avant il s’agissait toujours de compétences accessoires. Et si la N-VA considère qu’il s’agit d’une compétence accessoire, voire inutile, voire à supprimer, ça ne m’étonne pas : ce sont des conservateurs en la matière. Ici, nous nous situons clairement à côté des associations, à côté des femmes qui souffrent et nous en faisons un enjeu politique central, avec Alexander De Croo.
Bousculé sur "son" terrain, Écolo contre-attaque
Le co-président d’Écolo dresse les priorités de son parti pour cette fin de législature en matière de bonne gouvernance.
Outre les enjeux environnementaux, ceux de bonne gouvernance sont devenus, au fil des décennies, un élément central de la ligne idéologique défendue par Écolo.
Alors, quand ce dernier se retrouve attaqué sur "son" terrain, il se défend. Et il contre-attaque.
"Pour nous, c’est clair que la succession d’affaires et la remise en question du politique doivent amener l’ensemble des partis à se dire que, avant d’aller aux élections, avant même d’aller en campagne, nous devons prendre des mesures fortes en matière de gouvernance", estime Jean-Marc Nollet, lequel dévoile les 3 priorités d’Écolo en la matière pour cette fin de législature.
1.Rémunérations
Écolo souhaite réduire de 2 500 € brut par mois la rémunération des députés. "Cela revient à supprimer toute la partie défiscalisée. C’est un statut spécial qui n’a plus lieu d’être, qui est lié à un système du passé", estime le co-président, qui prône pour une rémunération "correcte" et "légitime", mais "pas avec ce cadeau fiscal. Ce n’est plus justifiable", précise-t-il encore, appelant au passage les autres partis à "ne pas attendre le prochain scandale pour prendre la décision".
2.Chômage
Écolo appelle par ailleurs à "la suppression de tous les régimes spéciaux, de tous les statuts spéciaux. Il faut que les élus intègrent le régime classique de la sécurité sociale. Il est logique que quelqu’un qui après les élections perde toute rémunération ait droit au chômage. Mais on ne doit pas maquiller ça derrière un nouveau système spécial d’indemnités de sorties liées aux fonctions". De quoi, en outre, "renforcer la dimension solidaire de la sécurité sociale", assure Jean-Marc Nollet.
3.Décumul
Enfin, Écolo veut le décumul total pour les députés. "C’est un job à temps plein. Il ne faut pas d’autre rémunération, qu’elle soit publique ou privée d’ailleurs", plaide le co-président écologiste.