Décédé d’un cancer du cerveau, il laisse un témoignage bouleversant : "J’ai fait le deuil de moi-même"
Décédé le 4 février d’un cancer du cerveau, Nicolas Menet lègue un témoignage bouleversant: comment vivre quand on se sait condamné ?
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Publié le 25-03-2023 à 06h00 - Mis à jour le 25-03-2023 à 08h19
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"Mais qui es-tu ?" ; "Je suis ta tumeur." ; "Est-ce que tu vas me faire mourir ?" ; "Oui, théoriquement, je suis prévu pour ça."
Fin 2022, son interview sur Konbini avait été vue plus de 3 millions de fois. Nicolas Menet, condamné par un cancer du cerveau, parlait de sa mort à venir, espérant ouvrir le débat sur la fin de vie en France (euthanasie et suicide assisté sont interdits). Il évoquait son dernier voyage avec une lucidité déroutante… et le sourire.

Décédé le 4 février dernier, cet Ardéchois qui a ému tout un pays, laisse derrière lui un témoignage bouleversant, publié il y a quelques jours à titre posthume. Dans ce livre, écrit entre septembre 2022 et janvier 2023, plutôt dicté via un logiciel – il était devenu aveugle -, Nicolas Menet envisage sa propre disparition comme un "ultime projet de vie". Du choc du diagnostic aux dernières semaines de sa vie, il raconte son parcours, les questions, les émotions.
Sociologue, l’homme de 43 ans dirigeait le premier pôle d’innovation sur le vieillissement. Il se rêvait député. "Je n’avais aucune conscience que la vie ne tient qu’à un fil."
En février 2022, après un AVC, on lui diagnostique un glioblastome. "Quelques heures après l’annonce, je réalise quand même que je vais bientôt mourir […] Mais pourquoi ne suis-je pas effondré ?"
Il se découvre une puissance archaïque, une pulsion de vie. "Si nous avions conscience de cette biologie fondamentale qui nous est innée, nous aurions tous moins peur de la mort."
Il y a eu des "vagues de larmes", l’espoir de la guérison. La récidive fut difficile émotionnellement. "J’ai fait une grave erreur: j’ai eu de l’espoir", écrit Nicolas Menet.
Le deuil de soi
Il commence à "accepter" l’idée de la mort quand il débute ce qu’il appelle le "deuil de soi". "Inhumain, contre-intuitif", c’est faire le deuil de la personne que l’on a été, de son identité (en devenant un "patient"), de la normalité (ne plus travailler,…), de son corps (perte des cheveux,…), et des "futurs possibles et souhaités". C’est être amené à vivre le "présent total", déchargé du "poids de l’avenir". Le deuil de soi – si compliqué soit-il – apporte une certaine "sérénité" .
Après plus d’un mois d’expérimentations cliniques, de rendez-vous médicaux, Nicolas Menet se promet en mai 2022 de "reprendre les choses en main". "La maladie n’a pas à dicter le tempo de ma vie."
Projet de fin de vie
En collaboration avec ses proches et le corps médical, il choisit d’organiser sa fin de vie. "C’est une façon de sublimer le peu qu’il reste à vivre", "redonner le libre arbitre que la maladie retire", "accompagner ceux qui vont rester" , "s’accomplir jusqu’à la fin", et "mourir en homme libre".
Nicolas Menet planifie ses obsèques, fait ses adieux, met en ordre ses affaires – "j’ai l’impression de préparer un voyage" – passe les "plus belles vacances de sa vie". S’il envisage un temps une euthanasie en Belgique, l’homme prévoit finalement une "sédation profonde" (permise depuis 2016 en France), "pour ne pas mourir dans des douleurs atroces".
Janvier 2023, l’état de Nicolas Menet s’est dégradé, les troubles accentués (démence, etc.). À la sérénité apportée par la mise en place de son "dernier projet", il est rattrapé par la peur de mourir.
Ce tabou
Cette mort qui reste encore, selon lui, "cantonnée aux hôpitaux et aux maisons de repos". Cette fin de vie, dont on n’ose parler, Nicolas Menet veut y confier un autre regard.
L’Ardéchois est décédé dans une unité palliative, proche de chez lui. À TF1, il disait, peu avant son décès, avoir conscience que ce n’est pas le cas pour de nombreux patients.
À son témoignage, il joint ainsi un message sociétal fort. En décembre 2022, il écrit une lettre de 20 pages au législateur français, publiée dans le livre. Entretiens de fin de vie obligatoires, sensibilisation aux soins palliatifs,… le sociologue lègue ses propositions pour "améliorer la prise en charge palliative et permettre à chacun de conserver sa souveraineté jusqu’à la fin de sa vie".
Et ce, alors qu’une convention citoyenne – qui s’est déjà prononcée en faveur de l’euthanasie et du suicide assisté "en dernier recours" – doit remettre ses suggestions au gouvernement français sous peu.
Nicolas Menet, "Faire le deuil de soi", Ed. Le Cherche Midi