Évaluation, inspection, sanction : à quoi les profs s(er)ont-ils soumis en Fédération Wallonie-Bruxelles ?
Pourquoi faut-il évaluer les enseignants ? Ne le sont-ils pas déjà ? Qu’est-ce que le nouveau dispositif envisagé par le gouvernement dès janvier 2024 est censé apporter ? Décryptage.
Publié le 15-03-2023 à 06h00
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Malgré un nouveau round de négociation hier soir entre le cabinet de la ministre de l’Éducation et le front commun syndical, il n’y a toujours pas de fumée blanche au-dessus du projet de décret instaurant le nouveau dispositif d’évaluation des enseignants.
Depuis des mois, celui-ci cristallise en effet les oppositions entre le pouvoir régulateur d’une part et les représentants des organisations syndicales d’autre part.
Pourtant, tous sont unanimes quant à la pertinence d’un tel dispositif : les syndicats eux-mêmes se disent demandeurs de cette réforme ! À condition cependant que la procédure d’évaluation ne puisse entraîner une sanction, et encore moins un licenciement. Là, c’est un "non" catégorique…
Pour appuyer leur position, les représentants des cinq formations de défense des droits des enseignants ont rappelé à maintes reprises que ceux-ci étaient déjà évalués. Et qu’ils encouraient déjà des sanctions.
Vraiment ?
En réalité, seul le volet disciplinaire du métier d’enseignant peut, à l’heure actuelle, faire l’objet d’une sanction (lire ci-dessous).
Les compétences pédagogiques
Ce que le nouveau dispositif entend introduire, c’est donc une évaluation des compétences pédagogiques des enseignants. Ou, comme le stipule l’exposé des motifs accompagnant la dernière version du projet de décret : "un processus généralisé et systématique permettant un regard réflexif sur les pratiques professionnelles et un dialogue autour du travail à destination de l’ensemble des membres du personnel de l’enseignement obligatoire, de promotion sociale et de l’enseignement secondaire artistique à horaire réduit ".
Dans les faits, ce dispositif s’articulera autour de deux volets : un mécanisme de soutien et d’accompagnement ; une procédure d’évaluation (lire ci-dessous).
"C’est ce premier volet qui fonde tout le texte sur lequel on travaille depuis maintenant deux ans, insiste Caroline Désir, ministre de l’Éducation. Car on a besoin de mieux soutenir et accompagner les membres du personnel."
Le service de l’inspection fait déjà cela, répondent de concert les syndicats.
Et c’est vrai. Même si le service a vu ses missions profondément évoluer depuis une quinzaine d’années : depuis 2007, les "inspections" des enseignants n’existent d’ailleurs plus en tant que telles (lire ci-dessous).
De plus, ce service n’est pas légitime pour prendre une éventuelle sanction, droit conféré aux pouvoirs organisateurs des écoles. De toute façon, il n’existe actuellement pas de sanction pour motifs pédagogiques. C’est précisément ce que le second mécanisme du nouveau dispositif va insérer.
La solitude des enseignants
Mais la sanction, " ce n’est évidemment pas l’objet premier de ce dispositif, insiste Caroline Désir. Toutes les enquêtes internationales ont démontré que les enseignants souffrent de solitude, qu’ils se sentent trop seuls dans leurs classes. Ils ont besoin de feedbacks. C’est d’autant plus important quand on sait que de nombreux enseignants quittent la fonction durant les toutes premières années de carrière, ainsi que pour les enseignants de seconde carrière. Les enseignants regrettent souvent que personne ne leur dise finalement s’ils travaillent bien ou non". L’idée est donc de "formaliser un moment de dialogue entre un enseignant et sa direction ", conclut la ministre.
La suite ? Le texte devrait être rapidement déposé en deuxième lecture sur la table du gouvernement. L’objectif poursuivi par le politique est en effet clair : le nouveau dispositif est appelé à entrer en vigueur dès le 1er janvier 2024.
Moins de 100 profs "inspectés" depuis la rentrée
Depuis 2007, les enseignants ne se font plus "inspecter". Sauf si leur PO en fait la demande au service dédié.
Autrefois, le service général de l’inspection (SGI) se rendait de façon régulière dans les classes, afin de vérifier la qualité des enseignements qui y étaient dispensés. La présence de ces "conseillers indépendants" était d’ailleurs la plupart du temps perçue comme une véritable opportunité pédagogique pour les profs qui se faisaient ainsi "inspecter". Mais aujourd’hui, ces inspecteurs se font plus rares dans les classes. Car leurs missions ont été redéfinies.
Évaluation
Depuis 2007, les missions menées par le SGI ne concernent plus tant les enseignants eux-mêmes que les établissements dans lesquels ils professent. Il s’agit désormais et essentiellement de missions d’évaluation des dispositifs pédagogiques au sein d’un établissement. Il ne s’agit donc plus d’une évaluation individualisée.
De plus, ces missions d’évaluation (MEVAL) ne se font plus sur base d’un droit d’initiative du service d’inspection, comme c’était le cas précédemment : elles sont commandées par le gouvernement, "afin d’évaluer la manière dont un nouveau dispositif est mis en œuvre", nous explique Pascale Genot, l’Inspectrice générale coordinatrice du SGI. Concrètement, l’idée est "de se rendre compte de comment cela se passe sur le terrain " et d’éventuellement "pouvoir adapter le nouveau dispositif ". Ces missions font l’objet d’un rapport remis au gouvernement ; les établissements visés par ces missions reçoivent, eux, un simple compte rendu, pas d’avis donc.
Depuis le début de cette année scolaire, le SGI a réalisé 472 missions de ce type (pour 422 en 2021-2022).
Contrôle
Toujours concernant les établissements, il existe des missions d’investigation et de contrôle spécifiques (MICS) menées lorsque le pouvoir régulateur suspecte "un manquement substantiel" ou lorsqu’"une plainte est adressée à la Direction générale de l’enseignement", précise Pascale Genot.
Non-respect de la gratuité scolaire, mais aussi inadéquation du matériel utilisé dans le cadre des apprentissages, les objets de ces missions sont variés (et listés dans le décret de 2019 , sur le SGI, art. 4) et font l’objet d’un rapport envoyé au PO de l’établissement concerné.
Depuis septembre 2022, 31 missions du genre ont été menées (pour 52 en 2021-2022 ; 68 en 2011-2012).
Appréciation
Enfin, il existe depuis 2007 des missions d’appréciation de l’aptitude pédagogique (MAAP) d’un enseignant : sur sollicitation du PO uniquement, un agent du service peut être appelé afin d’apprécier l’enseignement dispensé par un membre de l’équipe éducative, "au regard des référentiels et des programmes scolaires". Un rapport est ensuite transmis au PO.
Depuis septembre 2022, 80 missions du genre ont été réalisées, tous niveaux (fondamental et secondaire) et réseaux confondus (pour 87 en 2021-2022 ; 162 en 2011-2012).
On notera pour être complet que ces missions représentent moins de la moitié des tâches réalisées par le SGI, lequel travaille en outre sur l’élaboration des épreuves externes communes, l’organisation du CEB, le contrôle de l’enseignement à domicile, la création de ressources pédagogiques, la participation à toute une série de groupes de travail et comités, les audits liés aux plans de pilotage et contrats d’objectifs, et bien d’autres choses encore.
Ce que prévoit le nouveau dispositif
1.Premier volet : accompagnement
Entretien systématique
La procédure prévoit un entretien – si possible annuel, a minima une fois tous les 3 ans – entre un membre du personnel et son chef d’établissement (ou son délégué).
"Il s’agit d’un dialogue ouvert au cours duquel les membres du personnel peuvent faire le point sur leurs pratiques, échanger sur leurs éventuelles difficultés, réaliser le bilan sur le travail accompli, se remettre en question, réfléchir à leurs besoins de formation, et ce dans la perspective du développement de leurs compétences professionnelles", précise l’exposé des motifs qui accompagne le projet de décret.
PDCP
De ce premier entretien et à l’initiative du membre du personnel ou du chef d’établissement, peut être mis en place un plan de développement des compétences professionnelles (PDCP). Il s’agit d’un document au sein duquel sont formalisés un certain nombre d’objectifs d’amélioration (maximum 4) individualisés, réalistes et adaptés au membre du personnel. Ce PDCP est construit conjointement par l’enseignant et le chef d’établissement. Ce PDCP est obligatoire pour les jeunes enseignants (moins de 5 ans).
Feedback
Un second entretien est alors programmé dans un délai de 6 mois à 2 ans suivant la mise en place de ce PDCP. Cette étape permet de réaliser un feedback avec l’enseignant concerné. Si les objectifs n’ont pas été rencontrés, le chef d’établissement peut alors activer la mise en œuvre du deuxième volet du dispositif: l’évaluation.
2.Second volet : évaluation
Rapport
Sur la base d’un rapport rédigé par le chef d’établissement ou de son délégué, le PO réalise un nouvel entretien avec le membre du personnel concerné. En cas de mention favorable à l’issue de cet entretien, la procédure s’arrête; mais si la mention est défavorable, un plan d’accompagnement individualisé (PAI) est alors contracté entre les deux parties. À noter qu’une procédure de recours devant une Chambre indépendante est prévue pour le membre du personnel qui ne serait pas d’accord avec la mention adressée.
PAI
Ce nouveau plan, établi conjointement, formalise une série de nouveaux objectifs (maximum 4) censés permettre au membre du personnel de retrouver une mention favorable.
Feedback
Comme dans le cadre du premier volet du dispositif, un entretien de clôture est alors programmé, au plus tôt 3 mois après la mise en place du PAI, au plus tard deux ans après. Si, à l’issue de cet entretien, les objectifs d’amélioration n’ont toujours pas été rencontrés, un nouvel entretien d’évaluation est programmé.
Sanction éventuelle
Si ce dernier entretien débouche sur une mention défavorable, il peut alors être procédé à la rupture du contrat de travail. Là encore, une procédure devant une Chambre de recours indépendante peut être activée par le membre du personnel qui contesterait la décision.