"Certains enfants venaient à l’école avec des tartines moisies" : la précarité alimentaire touche de plus en plus les jeunes
La précarité alimentaire n’épargne pas les jeunes Belges. C’est le constat établi par certaines écoles en Fédération Wallonie-Bruxelles et partagé, notamment, par la Fédération des banques alimentaires.
Publié le 07-03-2023 à 07h00
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Après la Caisse d’allocations familiales Camille en octobre dernier et la Fédération des banques alimentaires en février de cette année, c’est au tour du géant de l’agroalimentaire Kellogg’s de publier les résultats d’ une vaste enquête menée sur les habitudes alimentaires des Belges, et plus particulièrement auprès des jeunes générations.
Parmi les enseignements de ces trois études, il en est un qui revient invariablement : les (très) jeunes Belges ne sont pas épargnés par le phénomène de précarité alimentaire. Que du contraire…
Pour une raison de coût, mais parfois aussi en raison d’habitudes culturelles ou familiales, de nombreux jeunes n’ont aujourd’hui pas accès à des repas équilibrés tout au long de la journée.
Face à ce constat, certains acteurs de la société choisissent de sensibiliser les plus jeunes et leur famille aux bénéfices d’une telle alimentation. C’est notamment le cas de certaines implantations scolaires, lesquelles ont la possibilité de candidater à divers appels à projets en ce sens émanant tantôt de la Fédération Wallonie-Bruxelles, tantôt de la Région wallonne.
Une philosophie
Depuis maintenant 4 ans, l’École fondamentale de la Solidarité, située à Montignies-sur-Sambre (Charleroi) et classée comme école d’encadrement différencié de type 1 (c’est-à-dire relevant d’un indice socio-économique parmi les plus faibles), a fait de l’accès à une alimentation saine et équilibrée son projet d’établissement.
"Nous avions constaté qu’une majorité d’enfants ne mangeaient pas de façon équilibrée, se rappelle la directrice Laurence Crépin. Certains venaient parfois sans tartines, d’autres avec des tartines moisies dans leur boîte. Plusieurs familles ne venaient tout simplement pas mettre leur enfant à l’école quand elles n’avaient pas de collation à leur donner pour la journée."
Désormais, chaque élève scolarisé dans le degré maternel de cette implantation du réseau communal à Charleroi se voit la possibilité d’avoir accès gratuitement à un repas chaud et équilibré, comprenant un potage, des légumes, des féculents, des protéines et même un dessert, grâce à l’appel à projets de la FWB lancé en 2018.
"C’est chouette de pouvoir ainsi poser les bases auprès des plus jeunes, observe la directrice. Les équipes éducatives mettent l’accent là-dessus dans les apprentissages . Il s’agit d’une philosophie et de valeurs que nous voulons mettre en place au sein de notre école", souligne la directrice.
Cette école bénéficie également depuis deux ans d’ un autre appel à projets, européen cette fois, mais relayé par la Région (Progécole). Grâce à celui-ci, tous les élèves de l’implantation reçoivent chaque semaine un fruit et un produit laitier. De quoi, là encore, initier des habitudes. Mais à quel coût pour ces écoles ?
Une volonté
"Nous recevons grâce à ces appels à projets des subventions pour financer tout ceci, mais cela nécessite également toute une série de coûts directs à la charge du pouvoir organisateur, explique Julie Patte, échevine de l’Enseignement à Charleroi. Il a fallu engager des personnes pour encadrer les repas, acheter du matériel comme des fours pour réchauffer les repas, etc. " Il y a donc "une réelle volonté politique" derrière tous ces projets.
Sur le terrain, les initiatives portent en tout cas leurs fruits.
"Nous pouvons constater aujourd’hui que certains enfants prennent le repas chaud, alors qu’ils n’en avaient pas l’habitude auparavant, reprend Laurence Crépin. De même, certains viennent aujourd’hui spontanément avec une carotte ou un concombre dans la boîte à tartines."
Tout comme l’École de la Solidarité, elles sont des centaines sur le territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles à faire aujourd’hui de l’accès à une alimentation saine et équilibrée une priorité. Preuve de l’importance grandissante du sujet.
Un bénéficiaire sur 5 est un enfant de moins de 15 ans
De plus en plus de familles monoparentales font appel à la banque alimentaire. En 2022, un bénéficiaire sur quatre avait moins de 18 ans.
L’augmentation de la précarité alimentaire des familles est l’un des enseignements de la dernière étude réalisée par la Fédération belge des banques alimentaires (FBBA). L’an dernier, près de 210 000 personnes ont bénéficié d’une aide alimentaire mensuelle via l’une des 676 organisations affiliées à l’une des neuf banques alimentaires régionales. C’est 18% de plus qu’en 2021 ! Une augmentation sans précédent, accentuée par l’explosion des prix de l’énergie et des denrées alimentaires.
Les moins de 18 ans représentaient 26% des bénéficiaires et les moins de 14 ans, 20%. Les enfants et les jeunes adultes (de 0 à 24 ans) constituent une petite moitié (43%) de l’ensemble des bénéficiaires alors que les plus de 65 ans représentent "seulement" 7%.
" Depuis quelques années, on voit arriver dans les lieux de distribution de plus en plus de familles monoparentales, constate Jef Mottar, administrateur-délégué de la FBAB. Ces familles représentent 27,2% des bénéficiaires et trois quarts d’entre elles sont des mères avec enfants. "
Les banques alimentaires font ce qu’elles peuvent pour s’adapter à ce nouveau "public". La marge de manœuvre est étroite, la plus grande partie des produits distribués étant des surplus de l’industrie alimentaire.
"On doit faire avec ce que l’on nous donne mais pour les produits que l’on achète grâce aux fonds européens ou aux dons que l’on reçoit du grand public, on peut cibler des produits alimentaires ou d’hygiène destinés plus spécifiquement aux enfants comme du lait en poudre, des langes… ".
L’augmentation importante du nombre de jeunes bénéficiaires inquiète beaucoup le responsable de la Fédération des banques alimentaires : "Cette tendance ne va sans doute pas s’inverser dans les années à venir. Quand on a grandi dans un milieu précarisé, il est souvent difficile d’en sortir… Actuellement, on ne parvient pas à faire face à la hausse des demandes carl’industrie alimentaire préfère répondre aux commandes plutôt que de stocker des denrées. À partir de 2024, les fonds européens consacrés à l’aide alimentaire diminueront d’environ un tiers. Pour les banques alimentaires, sur une base annuelle, cela représente une réduction du volume des marchandises d’environ 2 900 tonnes, soit près de 12,5% du volume total distribué par rapport à 2022."