Vétérinaire: le blues du plus beau métier du monde
Pression des clients, pénurie pour les gardes, bashing de la profession,… La pression sur les vétérinaires devient intenable, dit leur union professionnelle.
Publié le 31-01-2023 à 07h00 - Mis à jour le 31-01-2023 à 09h31
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Les vétérinaires ont le blues et ce n’est ni plus ni moins que l’avenir de la profession qui est menacé, alerte l’Union Professionnelle des Vétérinaires (UPV). Ce qui est considéré comme le plus beau métier du monde par des générations de gamines et gamins à qui on demande ce qu’ils veulent faire plus tard, est considéré comme une utopie par plus d’un vétérinaire sur deux. Et ils ne sont que 38% à avoir confiance en l’avenir de leur profession.
L’UPV avait déjà tiré la sonnette d’alarme l’été dernier à Libramont en présentant les résultats d’une enquête sur le mal-être de la profession aux ministres régionaux et fédéral, Céline Tellier (bien-être animal), Willy Borsus (agriculture) et David Clarinval (agriculture au fédéral). Mais depuis quelques semaines, les membres de l’UPV ont pris leur bâton de pèlerin pour organiser sur le terrain des rencontres et débats afin de sensibiliser les acteurs de la médecine vétérinaire: les professionnels du métier eux-mêmes, mais aussi les facultés et les étudiants vétérinaires.
Si le mal-être touche toutes les générations d’âge, les anciens ont sans doute le cuir un peu plus dur pour se protéger plus facilement face aux difficultés que rencontre la profession. "C’est clair qu’il y a une différence avec la jeune génération, dit Bernard Gauthier, co-président de l’UPV et vétérinaire depuis une quarantaine d’années. Les attentes ne sont pas les mêmes chez les jeunes au niveau de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. La féminisation de la profession a encore accentué cela. Avec les problèmes rencontrés aujourd’hui, si les anciens étaient déjà sur la corde raide, pour les plus jeunes elle a cassé…"
Au premier rang de ces problèmes, il y a l’organisation des gardes (voir ci-contre).
Mais un autre concerne aussi la clientèle des vétérinaires qui manque toujours plus de respect à la fonction et met une pression toujours plus forte sur les vétérinaires.
"Les gens ont aujourd’hui une exigence énorme pour les soins de leurs animaux, quasi au même niveau que pour la médecine humaine, mais sans vouloir payer cher, dit Bernard Gauthier. Mais en médecine humaine, il y a 95% d’intervention de l’Inami et ça, les gens ne le comprennent pas. "
Ce stress et, parfois, ce mécontentement, des gens s’expriment de plus en plus librement et sont décuplés par les réseaux sociaux. "Il y a un véritable bashing des vétérinaires de la part de gens qui expriment “leur” réalité des choses, dit Bernard Gauthier. Pour les vétérinaires qui font tout pour sauver un animal, ce sont de véritables coups de poignards. Plus encore pour les jeunes qui sont plus présents sur les réseaux sociaux."
Cette pression et ce stress induits par la clientèle s’expriment encore plus fort dans la médecine vétérinaire pour petits animaux de compagnie. Et c’est un basculement par rapport à il y a une vingtaine d’années, lorsque la pression exercée sur les vétérinaires était plus forte dans les fermes, pour les animaux de rente, analyse le co-président de l’UPV. "Mais on voit un changement dans la mentalité des fermiers de la jeune génération pour qui le lien avec le vétérinaire est plus une collaboration main dans la main. Sans doute aussi parce qu’ils sont conscients de la rareté grandissante des vétérinaires. Alors, ils les ménagent…"

« Ce métier c’était mon rêve, mais il faut se protéger... »
"Non, je ne veux pas arrêter, car ce métier c’était mon rêve. Mais il faut se protéger…" Vétérinaire dans la région d’Ath, Clément Dejonghe n’a que deux ans d’expérience professionnelle en plus de ses stages. Mais sur cette courte période, il en a vu des burn-out et des vétérinaires qui ont arrêté le métier. "J’ai aussi connu 4 suicides de collègues, dit-il. Il y en a quatre fois plus que dans l’ensemble de la population et deux fois plus que dans les autres professions médicales."
Les causes du désenchantement dans la profession ? Elles sont multiples, comme évoqué par ailleurs. Mais la première que donne le jeune vétérinaire est "la crise du respect". Le respect de base de clients qui ne savent plus dire ni bonjour, ni merci. Mais aussi un manque de respect du métier et de la fonction. "La société attend énormément des vétérinaires. Et à la moindre chose qui ne va pas, on est étrillé sur les réseaux sociaux, avec des faits qui sont déformés et même des menaces de morts." Pour des jeunes qui sortent de la faculté et qui n’ont pas encore beaucoup d’expérience, cette pression est parfois compliquée à gérer, dit le vétérinaire de 26 ans.
Cette pression, cette autre jeune vétérinaire, spécialisée dans les chevaux, la redoute aussi. C’est la raison pour laquelle elle préfère que son témoignage soit anonyme. "Quoi que je dise, je sais qu’il y aura des commentaires négatifs sur les réseaux, dit-elle. Et je sais que ça me fera mal."
Malgré la pression sociétale, comme Clément Dejonghe, la jeune femme qui n’exerce que depuis moins de deux ans reste positive sur ce qui est toujours "le plus beau métier du monde", dit-elle. Pour se protéger, elle a su s’entourer de confrères bienveillants qui sont autant de "points d’ancrage en cas de doute." Partage des gardes, formations communes, conseils mutuels,… "Il faut se constituer un réseau. Car j’ai vu des jeunes vétérinaires qui se sentaient très seuls. Je mets donc en place ce qu’il faut pour ne pas tomber dans cette spirale du burn-out. Même si parfois je sens bien que je suis fatiguée aussi…"
Il faut dire que dans le métier on ne compte guère ses heures (voir infographie). "J’en suis à 60 ou 70 par semaine, dit Clément Dejonghe. Mais si je réduis, c’est difficile financièrement." Hors charges et cotisations sociales, avec ce rythme, il gagne à peine 13 euros de l’heure. Après six ans d’études réputées parmi les plus dures, ce n’est pas lourd. Les journées le sont, elles par contre: 12 heures d’affilée de disponibilité pour la vie des animaux, des heures de réflexion clinique, de concentration chirurgicale et une forte charge émotionnelle. "Heureuse quand on est là pour une naissance, toujours difficile quand on doit donner la mort", dit le vétérinaire. Qui sait pertinemment que c’est le propre du métier qu’il a choisi et dont il accepte les sacrifices qu’il implique aussi pour sa vie privée. "Mais quand, un dimanche à 21 heures, des gens vous téléphonent à la dernière minute pour un chat qui était à l’agonie depuis 3 jours et que les premiers mots quand vous arrivez sur place sont pour vous reprocher d’avoir mis 20 minutes pour faire la route et vous demander de sauver l’animal pour pas cher, c’est parfois difficile…"
Témoignage de Nicolas Plennevaux, vétérinaire à Erquelinnes
Bientôt plus de vétérinaire pour la filière sanitaire des abattoirs ?
"Y aura-t-il encore dans quelques mois des vétérinaires prêts à aller travailler dans les abattoirs ? Je ne sais pas..." Bernard Gauthier n’est en tout cas pas optimiste au sujet de ses confrères qui, là aussi sont à bout. Faute d’effectifs en suffisance, certains ont travaillé 18 heures d’affilée pendant les fêtes de fin d’année, dit-il. Le problème n’est pas neuf pour ces vétérinaires qui travaillent sous la responsabilité de l’Afsca mais sont indépendants et sont payés par les abattoirs.
"Mais si on ne trouve pas une solution à ces problèmes de surcharge de travail et de rémunération, il y aura des problèmes, prédit le co-président de l’UPV. Des promesses de revalorisation salariale n’ont pas été tenues et les vétérinaires ont déjà menacé de faire grève." Le rôle des vétérinaires en abattoirs est pourtant essentiel. Ante-mortem, pour vérifier que l’animal qui doit être abattu est en bonne santé et post-mortem pour l’analyse sanitaire des carcasses. S’il n’y a plus assez de vétérinaires disponibles, c’est toute la chaîne qui risque d’être mise à l’arrêt.