Taxe nucléaire: comment l’État a pu récupérer des millions de surprofits
La question des surprofits réalisés par les exploitants de centrales nucléaires ne date pas de cette crise énergétique.
Publié le 14-01-2023 à 07h00
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La crise énergétique liée à la guerre en Ukraine a mis en lumière certains bénéfices hors normes réalisés par des producteurs d’énergie. Des acteurs qui ont pu profiter de l’envolée des cours sur les marchés et d’outils de production amortis depuis des lustres. Un problème qui, en fait, n’est pas neuf.
Paul Magnette, ministre de l’Énergie entre 2007 et 2011, estime rapidement que ces producteurs jouissent d’une véritable "rente nucléaire" pouvant être mise à contribution.
En 2008, il met en place la contribution de répartition, le premier système de fiscalité sur les surprofits, plus communément appelé "taxe nucléaire".
Il impose alors une taxe annuelle forfaitaire de 250 millions, fruit d’un bras de fer avec Electrabel…
Wathelet double la taxe nucléaire
En colère, GDF Suez, la maison mère d’Electrabel, se lance dans un bras de fer juridique afin de faire casser cette taxe que le groupe estime confiscatoire. Mais dans son arrêt numéro 32/2010 daté du 30 mars 2010, la Cour constitutionnelle donne raison à l’État belge, estimant que les producteurs "ont bénéficié, et bénéficient encore, d’une situation avantageuse". "On a eu de la chance, nous souffle-t-on dans l’entourage de l’ex-secrétaire d’État. Il s’agissait d’une bonne surprise à laquelle on ne s’attendait pas vraiment !"
Renforcé par la validation juridique de ce dispositif, Melchior Wathelet, conformément à l’accord de gouvernement du 5 décembre 2011, introduit alors une contribution de répartition complémentaire de 350 millions d’euros. Au total, donc, la taxe grimpe alors à 600 millions d’euros par an, destinés à financer le développement d’alternatives au nucléaire.
"Mais à partir de 2014, les centrales belges ont commencé à être mises plus souvent à l’arrêt suite à différents problèmes rencontrés", nous explique un expert du secteur de l’Énergie. Dès lors, "si le mécanisme de cette taxe avait été validé par la Cour constitutionnelle, cette dernière avait aussi envoyé un signal selon lequel la contribution de répartition pourrait dans certains cas devenir confiscatoire."
Marghem supprime la taxe forfaitaire
En 2014, Marie-Christine Marghem décide alors de profondément modifier la contribution de répartition. Le but de la nouvelle ministre est de passer d’une taxe forfaitaire à une fiscalité liée à la production effective. : "Mon objectif était de prévoir un cadre avec une sécurité juridique et une formule flexible qui évolue en fonction de la production, nous explique Marie-Christine Marghem. Quand les prix et les profits augmentent, les millions qui rentrent dans les caisses de l’État augmentent également."
La CREG, la Commission de régulation de l’électricité et du gaz, remet pourtant un avis critique sur le projet. Elle estimait qu’il y avait "des défauts de cohérence" et " des justifications lacunaires qui étaient de nature à faire porter un risque sur le prélèvement de la contribution de répartition envisagée." Selon elle, les exploitants des centrales prolongées (Doel 1 et Doel 2) faisaient également une belle affaire, puisque celles-ci étaient retirées du dispositif : plutôt que d’entrer dans le calcul de la taxe, une redevance annuelle de 20 millions leur était ainsi imposée en contrepartie de la prolongation.
"J’ai eu beaucoup de mal avec la CREG à l’époque, reconnaît Marie-Christine Marghem. Les critiques étaient permanentes. Il y avait des jeux politiques pour une raison assez simple : l’ensemble des autres partis francophones étaient dans l’opposition…"
Au final, la loi instaurant le nouveau calcul de la taxe nucléaire est promulguée le 25 décembre 2016. Si elle réduit dans un premier temps de façon considérable la rentrée d’argent dont bénéficie l’État (de 600 à 130 millions entre 2014 et 2016), elle pérennise néanmoins le mécanisme grâce à un nouvel accord passé avec Engie.
Boostée par la flambée des prix du marché, la marge bénéficiaire des centrales nucléaires belges explose en 2022, s’élevant selon une estimation de la CREG à 2,2 milliards d’euros.
Dans une interview accordée à L’Écho, Laurent Jacquet, directeur des prix à la CREG, estime alors le montant de la contribution de répartition à 712 millions d’euros en faveur de l’État.